Y'a plus bon Banania
C’est un slogan que les moins de 30 ans ne connaissent pas forcément. "Y a bon Banania" a vanté les mérites de la célèbre boisson chocolatée entre 1915 et 1977. L’entreprise Nutrimaine ne l’utilise plus. Mais le slogan, dûment enregistré auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), lui appartient toujours. Elle vient d’annoncer qu’elle allait le "radier". Elle l’abandonne définitivement. Par conséquent, elle ne versera plus 240 euros à l’Inpi tous les dix ans pour le conserver.
C’est une victoire pour le collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais qui a assigné l’entreprise en justice à l’automne 2005. Il estimait que le slogan était "contraire à l’ordre public en raison de son caractère raciste et de nature à porter atteinte à la dignité humaine". Patrick Karam, le président du collectif, se réjouit de cet accord : "Nous avions ce slogan dans le collimateur depuis un moment. Notre action n’est pas un signal haineux, mais un acte républicain."
C’est un article publié sur Internet en février 2004 qui a lancé le mouvement contre le slogan : "Nous trouvions intolérables l’image peu flatteuse et les clichés que véhiculait cette marque", explique Hervé Mbouguen, l’auteur de l’article. Le site lance alors une pétition en ligne demandant le retrait du produit Banania. Elle récolte plus de 2 700 signatures. "Nous avions aussi indiqué les numéros de téléphone et de fax de la société pour que les personnes mécontentes le fassent savoir", ajoute Hervé Mbouguen.
Patrick Karam et son collectif vont plus loin en demandant à la justice de trancher. Thierry Hénault, président de Nutrimaine depuis le début de l’année, préfère couper court à la polémique et conclure un accord avec le collectif avant le procès, intialement prévu le 12 janvier au Tribunal de grande instance de Nanterre : "Je comprends que cette expression peut émouvoir aujourd’hui. Dans le contexte actuel, l’émotion était encore plus forte."
Il n’en a pas toujours été ainsi et la perception de ce slogan a changé depuis sa création. En 1912, le journaliste Pierre Lardet ramène du Nicaragua la recette d’un breuvage composé de farine de banane, céréales pilées, cacao et sucre.
L’expression "Y a bon Banania" et le visuel du tirailleur sénégalais coiffé de sa chéchia rouge apparaissent sur les fameuses boîtes jaunes durant la première guerre mondiale, en pleine période coloniale. Selon la légende, les créateurs de la marque auraient embauché un tirailleur qui se serait écrié "Y a bon" en goûtant le breuvage. Plus sérieusement, le tirailleur bénéficie alors d’une image positive que la marque compte exploiter. Il symbolise la vigueur, la force et l’énergie, tout ce qu’un bon petit-déjeuner est sensé apporter.
Cette stratégie marketing s’est progressivement retournée contre Banania : "Un slogan est fait pour vendre, pas pour se mettre à dos une partie de la population", confirme Thierry Hénault. "La publicité n’est que le reflet d’une époque, les slogans doivent évoluer avec le temps." Installée à Faverolles près d’Amiens (Somme), la PME de 70 salariés produit 9 000 tonnes de Banania chaque année pour un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros. C’est en 2003 que Nutrimaine a racheté Banania au conglomérat anglo-hollandais Unilever.
Thierry Hénault l’assure : "Le visuel actuel, un jeune Africain qui représente le petit-fils du tirailleur, ne pose pas de problème en lui-même. C’est son association avec le slogan qui aurait été perçu comme dévalorisant." Patrick Karam, le président du collectif qui a obtenu gain de cause, précise que tous les produits dérivés reprenant ce slogan vont être retirés de la vente.
Pour les associations représentant la communauté noire, c’est en tout cas une troisième victoire, certes plus anecdotique, après le déclassement de l’article de loi sur le rôle positif de la colonisation et l’adoption d’une journée de mémoires de l’esclavage.
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