Kispasse

Tuesday, February 14, 2006

La grande muraille du Web

Pour la deuxième fois de mon stage, j'ai collaboré à l'événément de Libé. Je ne suis pas encore blasé, c'est toujours aussi bon! D'autant que le sujet du jour était vraiment passionnant. On s'est penché sur la censure exercée par les moteurs de recherche Google et Yahoo en Chine. C'est un peu long, mais ça vaut le coup!

Quelles sont les conséquences pour les quelque 120 millions d’internautes chinois, de la censure volontairement opérée par les versions chinoises des moteurs de recherche Google et Yahoo ? Libération tente de jauger l’impact de cette collaboration pernicieuse en introduisant simultanément des mots-clé choisis dans les deux moteurs de recherche en français à Paris, et en chinois à Pékin.

Tiananmen. Le mot déclenche sur le Google chinois une avalanche de cartes postales publiées par le Quotidien du Peuple montrant la place et le portrait de Mao sous son meilleur jour : fleurs, ciel bleu ou feux d’artifice.
A l’opposé, à Paris, Google nous conduit vers les photos des gigantesques manifestations lors du mouvement prodémocratique de la place Tiananmen en juin 1989 et vers l’image omniprésente du jeune bravant une colonne de chars.
Yahoo-Chine apporte une moisson comparable, mais n’a pas l’honnêteté d’annoncer que les requêtes de son moteur de recherche sont censurées. Sur Google chinois en revanche, figure en bas de chacune des pages un avertissement en caractères fins non signé, mais dont l’auteur est sans doute Google, qui explique : "Conformément aux règles, directives et lois locales, une partie du contenu ne peut être montrée."

Wei Jingsheng. Sur Google Chine, le plus célèbre des dissidents chinois (il vit aujourd’hui en exil aux Etats-Unis) ne recueille en tout et pour tout que six images vantant un club de golf de Pékin. Le dissident a en effet un homonyme qui est un coach de ce sport. Mais aucune trace de l’opposant Wei, bien plus présent sur la version française de Google Images avec 381 apparitions. Yahoo-Chine pour sa part mène d’emblée le lecteur sur le site officiel "globalview. cn", très critique à l’encontre du dissident, tandis que Yahoo-France renvoie sur les pages d’Amnesty, du Monde Diplomatique ou encore vers la Fondation Wei Jingsheng, qui défend les droits de l’homme.

Homosexuel. L’homosexualité n’est plus tout à fait un tabou pour les autorités chinoises, qui ont décrété voilà quelques années que les homosexuels ne sont pas des "malades mentaux". En Chine, Yahoo Images présente la photo souvenir d’une association homosexuelle chinoise visitant la Grande Muraille. Une photo moins osée que celles diffusées par la version française du moteur de recherche, plus friande d’étreintes. Yahoo, comme Google, signalent le site www.gaychinese.com. Mais celui-ci était inaccessible hier à Pékin, peut-être en raison d’une censure résiduelle du réseau par la police chinoise de l’Internet. De manière générale, la censure opérée par les autorités chinoises, qui se superpose à celle des moteurs de recherche, semble malgré tout moins stricte à l’égard de sites à contenu pornographique que pour ceux à contenu ouvertement dissident, religieux, ou traitant de la situation des droits de l’homme dans le pays.

Droits de l’homme. Sur Google Images Chine, on tombe sur la couverture d’une revue officielle intitulée "droits de l’homme" montrant l’ex-numéro un du PC, Jiang Zemin, serrant la main à des soldats, la photo d’un défilé militaire sur la place Tiananmen. On obtient sensiblement les mêmes résultats avec Yahoo Chine. En France, quand un utilisateur fait une recherche sur le même sujet, il est aiguillé vers la déclaration de 1789, la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ou encore le site de la Ligue des droits de l’homme.

Dalaï Lama. Pour les internautes chinois, il n’existe plus, ou presque. Une seule photo du chef spirituel du Tibet apparaît lorsqu’on tape son nom sur le Google chinois, quand la même recherche donne 920 réponses en France. La recherche texte, en Chine, ne livre que des dénonciations de "l’attitude séparatiste" du Dalaï Lama publiées par la presse officielle, notamment le Quotidien du Peuple. En France, le premier résultat est le site tibet-info, qui demande le retrait de "l’occupant chinois" du Tibet. D’autres liens pointent vers des biographies rappelant notamment que Tenzin Gyatso, le quatorzième Dalaï Lama, a obtenu le Prix Nobel de la paix en 1989.

Mao Zedong. Sur les moteurs chinois, un tsunami d’images du grand timonier, toutes plus officielles les unes que les autres, fracassent l’écran. En texte, le Quotidien du Peuple et l’agence Chine nouvelle, rivalisent pour apporter une foison d’articles portant sur la bibliothèque Mao Zedong de sa ville natale, le 110e anniversaire de sa naissance, etc. La récente biographie de Mao écrite par Jung Chang, très critique, est absente.
Sur les versions françaises, les mêmes portraits fleurissent, mais pas toujours sur les mêmes sites. Ainsi, le premier résultat sur Google Images renvoie au site "dictatorofthemonth" ! Et dans nos sociétés capitalistes, des sites de vente en ligne proposent le livre de Jung Chang "The unknown story"...

Philippe GRANGEREAU (à Pékin) et Laurent GUENNEUGUES (à Paris)

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