Charlie et ses drôles de drames
Me voilà embarqué dans le tourbillon des dessins de Mahomet. Je parle de dessins plutôt que de caricatures car ils n'avaient pas pour vocation d'être drôles (hormis celui où Mahomet explique à des kamikazes qui arrivent au paradis qu'il est à court de vierges). Le but du journal danois qui les a publiés voilà 4 mois était simplement de faire tomber un tabou en représentant le prophète. C'est réussi, mais à quel prix? Ambassades brûlées et manifestations de musulmans, y compris des modérés, le tout pour la plus grande joie des adeptes du choc des civilisations.
Nouvel épisode de ce mauvais feuilleton aujourd'hui avec la sortie d'un numéro spécial de Charlie Hebdo qui publie les douze dessins de la discorde ainsi que quelques caricatures maison. Hier au TGI de Paris (où j'étais l'envoyé spécial de Libé, ma première sortie hors de la rédaction), le Conseil français du culte musulman a échoué dans sa tentative d'empêcher sa sortie. Vices de forme, demande irrecevable. Ce matin, les kiosquiers vendent les 160000 exemplaires de Charlie comme des petits pains. Rupture de stocks dès 9h30. Philippe Val, le boss de Charlie, commande un retirage de 300000 exemplaires et invite les journalistes à une conférence de presse pour expliquer pouquoi, comme le dit Villepin (j'ai de mauvaises références en ce moment), "ils se sont déchaînés" dans ce canard cette semaine (contrairement au Canard enchaîné, plus soft et, pour tout dire, plus à mon goût). Je suis accueilli par un bouillant Stéphane Bou qui me reproche ma présentation de leur une dans le Libé du jour. J'évoque un Mahomet, la tête dans les mains, qui dit que "c'est dur d'être aimé par des cons", sans préciser le titre "Mahomet débordé par des intégristes", ce qui peut laisser accroire qu'il parle de tous les musulmans. Je fais mon mea culpa. Pour ma défense, j'avais cité un peu plus loin dans la version initiale des propos de Val selon lesquels "ça ne vise que les intégristes" mais ça a été coupé. Tout comme ma chute qui ne leur aurait sans doute pas plu : "Tout ce foin pour douze dessins, comme le titre Charlie, tout en prenant soin d'alimenter la botte."
Car oui, je l'avoue, j'ai pêché par la pensée. Je suis plus en phase avec mon président Jacques qui critique ces provocations manifestes aux croyants qu'avec mon boss Serge qui soutient Charlie dans sa démarche. Avoir le droit de le faire ne veut pas dire que ce soit un choix judicieux. A quoi bon provoquer gratuitement et braquer énormément de musulmans, y compris des modérés, contre nous? Les jusqu'au-boutistes de la liberté d'expression ne vont faire que grossir les rangs des intégristes.
Résultat des opérations : Philippe Val a voulu qu'on le rappelle pour qu'il puisse corriger l'article en cas d'erreur. On lui a accordé un droit de regard sur ses citations. Vive la liberté d'expression, qu'il disait!
Après cette explication de texte, voilà l'article qui fera l'événement de Libé de demain et que je signe à quatre mains avec Renaud Dely, le chef du service politique.
"Charlie" ose et Chirac tance
Mise en garde tragique à l'Elysée, un mort : la liberté de caricaturer. Chirac va-t-il cesser de lire Charlie Hebdo ? Le Président a saisi hier l'occasion que lui offrait le cadre solennel du Conseil des ministres pour condamner "les provocations manifestes" auxquelles s'est livré, selon lui, l'hebdomadaire. Sous le titre "Mahomet débordé par les intégristes", Charlie Hebdo a publié en première page un dessin du prophète disant "C'est dur d'être aimé par des cons" et reproduit en pages intérieures les douze dessins parus dans un quotidien danois, avant d'être publiés intégralement dans France Soir et, pour certains d'entre eux, dans Libération et le Monde. L'initiative a valu à Charlie un triomphe : 160 000 exemplaires écoulés en quelques heures et deux retirages de 320 000 supplémentaires en cours.
Sans citer le nom du journal, Chirac a jugé, lui, que "tout ce qui peut blesser les convictions d'autrui, en particulier les convictions religieuses, doit être évité". "La liberté d'expression doit s'exercer dans un esprit de responsabilité", a ajouté le Président. Vendredi, il en avait appelé à ce même "esprit de responsabilité" pour inciter les médias à ne pas "attiser dangereusement les passions" dans le monde musulman. Il poursuit ainsi un double objectif : jouissant d'une bonne cote dans la plupart des pays arabes, il espère y apaiser la colère des musulmans susceptibles de s'en prendre aux intérêts français. En outre, tout à son rôle de "garant de l'unité nationale", il prétend désamorcer un éventuel regain de tension dans les banlieues. Pas de quoi convaincre l'ex-ministre socialiste Jean Glavany, qui a dénoncé son "parallèle insupportable" entre "des caricaturistes qui usent de leur liberté d'expression et ceux qui lancent des fatwas".
"Choqué" par la condamnation présidentielle, le directeur de Charlie, Philippe Val, a répliqué lors d'une conférence de presse au siège du journal qui a attiré de nombreux journalistes étrangers : "Nous avons décidé de publier les caricatures par solidarité pour le directeur de la publication de France Soir limogé et pour soutenir la liberté d'expression qui est un fondement de notre démocratie. Contrairement à ce qu'avance Jacques Chirac, ce n'est pas une provocation." Après avoir dénoncé l'initiative du journal iranien Hamshahri, qui a lancé un concours de dessins sur l'Holocauste, une "insulte à toute l'humanité", Val a ajouté que Charlie pourrait les publier au nom "du combat contre le négationnisme". "On ne s'est pas lâché cette semaine, a assuré de son côté la journaliste Caroline Fourest. Le dessin qui nous a fait le plus rire n'est pas passé. C'était trop facile, gratuit et sans message derrière." Le choix de la première page a été épineux : "On a tout envisagé jusqu'au dernier moment, y compris de titrer sur Jésus-Christ ou sur la Saint-Valentin ! Mais on ne pouvait pas se défausser..."
Jacques Chirac, lui, a préféré se rallier à la prudence manifestée par la quasi-totalité des autorités européennes. Après la mise à sac d'ambassades et de bâtiments publics en Syrie et au Liban, nombre de dirigeants de l'Union européenne sont soucieux de protéger leurs intérêts et ceux de leurs ressortissants à l'étranger. Président en exercice de l'UE, le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel a dénoncé une "spirale des provocations" : "Ni les caricatures de Mahomet, ni la négation de l'Holocauste n'ont de place dans un monde où la cohabitation des cultures et des religions devrait être empreinte de respect." Façon, en renvoyant dos à dos les deux exercices, de céder à une autre forme de caricature.
Nouvel épisode de ce mauvais feuilleton aujourd'hui avec la sortie d'un numéro spécial de Charlie Hebdo qui publie les douze dessins de la discorde ainsi que quelques caricatures maison. Hier au TGI de Paris (où j'étais l'envoyé spécial de Libé, ma première sortie hors de la rédaction), le Conseil français du culte musulman a échoué dans sa tentative d'empêcher sa sortie. Vices de forme, demande irrecevable. Ce matin, les kiosquiers vendent les 160000 exemplaires de Charlie comme des petits pains. Rupture de stocks dès 9h30. Philippe Val, le boss de Charlie, commande un retirage de 300000 exemplaires et invite les journalistes à une conférence de presse pour expliquer pouquoi, comme le dit Villepin (j'ai de mauvaises références en ce moment), "ils se sont déchaînés" dans ce canard cette semaine (contrairement au Canard enchaîné, plus soft et, pour tout dire, plus à mon goût). Je suis accueilli par un bouillant Stéphane Bou qui me reproche ma présentation de leur une dans le Libé du jour. J'évoque un Mahomet, la tête dans les mains, qui dit que "c'est dur d'être aimé par des cons", sans préciser le titre "Mahomet débordé par des intégristes", ce qui peut laisser accroire qu'il parle de tous les musulmans. Je fais mon mea culpa. Pour ma défense, j'avais cité un peu plus loin dans la version initiale des propos de Val selon lesquels "ça ne vise que les intégristes" mais ça a été coupé. Tout comme ma chute qui ne leur aurait sans doute pas plu : "Tout ce foin pour douze dessins, comme le titre Charlie, tout en prenant soin d'alimenter la botte."
Car oui, je l'avoue, j'ai pêché par la pensée. Je suis plus en phase avec mon président Jacques qui critique ces provocations manifestes aux croyants qu'avec mon boss Serge qui soutient Charlie dans sa démarche. Avoir le droit de le faire ne veut pas dire que ce soit un choix judicieux. A quoi bon provoquer gratuitement et braquer énormément de musulmans, y compris des modérés, contre nous? Les jusqu'au-boutistes de la liberté d'expression ne vont faire que grossir les rangs des intégristes.
Résultat des opérations : Philippe Val a voulu qu'on le rappelle pour qu'il puisse corriger l'article en cas d'erreur. On lui a accordé un droit de regard sur ses citations. Vive la liberté d'expression, qu'il disait!
Après cette explication de texte, voilà l'article qui fera l'événement de Libé de demain et que je signe à quatre mains avec Renaud Dely, le chef du service politique.
"Charlie" ose et Chirac tance
Mise en garde tragique à l'Elysée, un mort : la liberté de caricaturer. Chirac va-t-il cesser de lire Charlie Hebdo ? Le Président a saisi hier l'occasion que lui offrait le cadre solennel du Conseil des ministres pour condamner "les provocations manifestes" auxquelles s'est livré, selon lui, l'hebdomadaire. Sous le titre "Mahomet débordé par les intégristes", Charlie Hebdo a publié en première page un dessin du prophète disant "C'est dur d'être aimé par des cons" et reproduit en pages intérieures les douze dessins parus dans un quotidien danois, avant d'être publiés intégralement dans France Soir et, pour certains d'entre eux, dans Libération et le Monde. L'initiative a valu à Charlie un triomphe : 160 000 exemplaires écoulés en quelques heures et deux retirages de 320 000 supplémentaires en cours.
Sans citer le nom du journal, Chirac a jugé, lui, que "tout ce qui peut blesser les convictions d'autrui, en particulier les convictions religieuses, doit être évité". "La liberté d'expression doit s'exercer dans un esprit de responsabilité", a ajouté le Président. Vendredi, il en avait appelé à ce même "esprit de responsabilité" pour inciter les médias à ne pas "attiser dangereusement les passions" dans le monde musulman. Il poursuit ainsi un double objectif : jouissant d'une bonne cote dans la plupart des pays arabes, il espère y apaiser la colère des musulmans susceptibles de s'en prendre aux intérêts français. En outre, tout à son rôle de "garant de l'unité nationale", il prétend désamorcer un éventuel regain de tension dans les banlieues. Pas de quoi convaincre l'ex-ministre socialiste Jean Glavany, qui a dénoncé son "parallèle insupportable" entre "des caricaturistes qui usent de leur liberté d'expression et ceux qui lancent des fatwas".
"Choqué" par la condamnation présidentielle, le directeur de Charlie, Philippe Val, a répliqué lors d'une conférence de presse au siège du journal qui a attiré de nombreux journalistes étrangers : "Nous avons décidé de publier les caricatures par solidarité pour le directeur de la publication de France Soir limogé et pour soutenir la liberté d'expression qui est un fondement de notre démocratie. Contrairement à ce qu'avance Jacques Chirac, ce n'est pas une provocation." Après avoir dénoncé l'initiative du journal iranien Hamshahri, qui a lancé un concours de dessins sur l'Holocauste, une "insulte à toute l'humanité", Val a ajouté que Charlie pourrait les publier au nom "du combat contre le négationnisme". "On ne s'est pas lâché cette semaine, a assuré de son côté la journaliste Caroline Fourest. Le dessin qui nous a fait le plus rire n'est pas passé. C'était trop facile, gratuit et sans message derrière." Le choix de la première page a été épineux : "On a tout envisagé jusqu'au dernier moment, y compris de titrer sur Jésus-Christ ou sur la Saint-Valentin ! Mais on ne pouvait pas se défausser..."
Jacques Chirac, lui, a préféré se rallier à la prudence manifestée par la quasi-totalité des autorités européennes. Après la mise à sac d'ambassades et de bâtiments publics en Syrie et au Liban, nombre de dirigeants de l'Union européenne sont soucieux de protéger leurs intérêts et ceux de leurs ressortissants à l'étranger. Président en exercice de l'UE, le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel a dénoncé une "spirale des provocations" : "Ni les caricatures de Mahomet, ni la négation de l'Holocauste n'ont de place dans un monde où la cohabitation des cultures et des religions devrait être empreinte de respect." Façon, en renvoyant dos à dos les deux exercices, de céder à une autre forme de caricature.
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