Kispasse

Friday, March 24, 2006

Salut l'autiste !

Quand la vie est plus excitante qu'un scénario de télé-réalité...
Par Thierry Bretagne (mon journaliste préféré) dans Basket News.

Au siècle dernier, dans les campagnes, on les appelait demeurés ou simplets. Jason, 17 ans, joli sourire diaphane, butant sur les mots, et les orbites comme rencognés sous un front un peu proéminent. Héros de l'Amérique depuis le 16 février dernier. Une histoire à la Bataille et Fontaine de deuxième partie de programme sur TF1. Jason McElwain, autiste, avait été promu "manager" de son équipe de basket de lycée, Greece Athena, à Rochester, état de New York. Le blason de l'équipe est un hoplite de profil en ombre chinoise. Perfection antique...

Manager? Terme ronflant. En fait, il passait les serviettes et portait les ballons, en permanence avec eux, jamais sur le parquet. Cinq pieds, six pouces: officiellement trop petit pour "faire" l'équipe. Mascotte. On appellerait ça leurs bonnes œuvres si on n'avait crainte de choquer.
Mais, à Rochester, ce jour-là, c'est le dernier match à domicile, la salle est pleine, les cheerleaders excitées, on transpire au seul spectacle de ces tribunes bondées. Jason, maillot 52 sur tee-shirt, est sur la feuille de match. Il n'est jamais entré.
En face, Spencerport, l'adversaire: largué. Le match tire à sa fin. Jim Johnson, le coach, aimable moustachu, lance Jason, qui a son fan club dans les travées. Ils brandissent des pancartes, une seule lettre. J. Quatre minutes à jouer. Deux shoots: un air-ball et un lay-up manqué. Et l'improbable survient: Jason, de l'aile droite, une fois, deux fois, puis à l'opposé, se met à allumer. Tressautement du cadreur amateur qui immortalise l'exploit. En une poignée de secondes, on est passé de Vidéo Gag au Top Ten de NBA Action. Le lieu même change de nature. La foule devient folle, qui transforme le gymnase gentilletet banal en école de samba.

Dans une ambiance de favela un soir de match de la Seleçao, Jason, véritable machine à shooter, allume toujours, six "threepointers" en moins de quatre minutes, 20 points venus d'un autre monde, celui du paranormal. A la fin, ils envahissent le plancher, dans la fièvre d'une manif étudiante contre le CPE, mais le contrat de Jason se termine là, hissé à la force des bras, bandeau sur l'œil, fétu bienheureux porté par la houle, fêté comme dieu du stade. "J'étais plus chaud qu'un flingue", dit le Ravi, proie et otage des actualités télévisées. Les grandes chaînes s'en emparent, merveille de la télé-réalité. Il rappe: "The winner goes home all happy! The loser goes home and says/ Mommy we lost the game wah wah wah." Sa mère, Debbie, se tord les doigts: "Pour la première fois de sa vie, Jason a réussi et il est fier de lui." Elle dit encore que pour elle, l'autisme c'était le Mur de Berlin et que son petit mec vient de le faire exploser.
Dans les jours qui suivent, la famille est assaillie, pourchassée, invitée, honorée, adulée. Vingt-cinq propositions de synopsis cinématographiques, de Disney à Warner Bros en passant par des documentaristes indépendants. Le cinéma américain adore les génies alternatifs, les emmurés psychiques qui deviennent des prodiges, les innocents les mains pleines. Forrest Gump, attardé et sprinter; Raymond Babbitt (Dustin Hoffman) le savant autistique de Rain Man (1989); John Ford Nash Junior (Russell Crowe dans Un homme d'exception de Ron Howard 2002) mathématicien de génie au MIT, inventeur d'une théorie économique sur les jeux et totalement schizophrène… Jason fait la tournée des plateaux. "Good Morning America", le talk matinal d'ABC, et puis c'est l'apothéose.

George Bush fait atterrir son Air Force One sur l'aéroport de Rochester. Il le prend par l'épaule, sous le bras, lui tape dans le dos. "Je peux t'appeler J-Mac? Appelle-moi George Debeliou!" "Je suis fier et honoré", dit le môme. "C'est moi! Pour les trois-points, il va falloir que tu me donnes des leçons", répond le président des Etats-Unis d'Amérique. Les micros se tendent. L'homme qui s'était étranglé avec un bretzel il y a quelques années est submergé par l'émotion. "Je l'ai vu à la télévision. J'ai pleuré." Salut l'autiste!

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