Les fils de pubs se rebiffent
C'est long, mais c'est bon. Délicieux même. Voici le compte-rendu de l'audience du 4 juin devant le tribunal correctionnel de Lyon de trois déboulonneurs. Un régal. Bonne lecture, et courage les amis!
Prévenus pour avoir le 27 mai 2006 à Lyon barbouillé un panneau publicitaire de la société JC Decaux, Marion et Nicolas ont été condamnés le 18 juin 2007 à des peines d'amende de 500 euros avec sursis, épilogue du procès en correctionnelle tenu le 4 juin. Un troisième déboulonneur, Guillaume, ayant participé à l'action sans barbouiller, a été relaxé.
Ce jugement, décevant au regard de la stratégie de désobéissance civile non-violente qui est celle des déboulonneurs, doit être replacé dans la durée. Depuis un an, 6 procès en France ont permis de fait état, devant la justice, du problème de l'envahissement publicitaire. Les deux précédents jugements (à Lyon et à Rouen) ont été très favorables (dispense de peine et 1 euro symbolique). La nocivité, l'irresponsabilité et la laideur de la publicité ont été dénoncées dans le souci de l'intérêt public. De nombreux témoins et soutiens sont venus à nos côtés pour appuyer ce combat juste.
Le dernier mot que nous retenons n'est pas le délibéré particulièrement sévère du président de la Cour correctionnelle, mais plutôt ce qu'il déclarait ironiquement lors du procès : "Plus le combat est long, plus il est bon". Nous continuerons, aussi longtemps qu'il le faudra, de manière non-violente à nous battre contre la démission des pouvoirs publics face à l'envahissement publicitaire.
En attendant, nous prévoyons de nous retrouver le 29 juin à Lyon pour discuter sereinement de la suite. Si vous voulez nous rejoindre pour la soirée, répondez donc à ce message!
Avec nos salutations antipublicitaires,
Collectif des Déboulonneurs
187 montée de Choulans,
69005 Lyon
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Audience du Tribunal Correctionnel de Lyon
Lyon, 4 juin, 14 heures, audience de la 8ème chambre correctionnelle. En procès, une barbouilleuse et deux barbouilleurs ayant à la peinture inscrit des slogans anti-publicitaires sur deux dispositifs de la société Decaux.
La salle d’audience nous est désormais familière. Les Déboulonneurs y ont comparu le 2 mai. Même bancs de bois, même éclairage ajusté, faits comparables.
Pourtant, l’enceinte accueille aujourd’hui une audience du Tribunal Correctionnel, et non plus de police. Mystères de la procédure…
Autres différences notables. La salle, cette fois, n’est pas comble. Non, elle est archi-comble. Des Déboulonneurs de Lyon, de Paris, des grenoblois, pas mal d’élus et de journalistes. Une classe du secondaire est présente. Ils ne seront pas déçus du voyage. Quand la désobéissance civile sert à l’éducation civique...
A noter aussi, cela a son importance : la présidence est masculine.
Quelques affaires plus classiques, d’abord, au pas de charge. Un jeune beur, dont l’état civil peu sûr le renvoie à un futur tout aussi incertain. Un Roumain, ensuite, menottes aux poignets, la trentaine. Il purge actuellement une peine de six mois de prison pour violences sur sa compagne.
- Vous n’avez pas d’avocat ? interroge le Président
- Non, je ne sais pas lire et l’assistante sociale était en vacances.
Le Président, séance tenante, hèle une avocate :
- Maître, passez dans la salle à côté préparer la défense de Monsieur. On se revoit dans quelques instants.
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Ceci expédié, on passe aux Déboulonneurs.
On vérifie d’abord l’identité des témoins, qu’on expédie aussitôt dans la salle à côté, afin probablement que les propos des prévenus ne polluent pas la virginité des leurs.
Le juge - Marion , 20 ans, Guillaume, 27 ans et Nicolas, 30 ans, vos casiers judiciaires sont vierges. Il vous est reproché d’avoir, à Lyon le 27 mai 2006, tracé des inscriptions sur du mobilier urbain causant des dommages légers à la société Jean-Claude Decaux.
Marion et Nicolas, vous reconnaissez les faits, mais pas vous Guillaume ?
Guillaume - Je ne reconnais pas avoir barbouillé.
Le juge - On vous reproche donc d’avoir au sein d’un groupe de personnes tracé des inscriptions sans autorisation préalable sur des panneaux publicitaires : « Vous êtes des cibles » et « Pub=invasion»
Vous avez précisé qu’il s’agissait de peinture effaçable qui ne causait aucune espèce de dégradation. Pour ces faits, la société Jean-Claude Decaux, qui s’est portée partie civile mais n’est pas représentée aujourd’hui, estime les frais de nettoiement engagés à 221,80 Euros.
Madame, comment expliquez vous, les faits qui vous sont reprochés ?
Marion : - Quand je suis née, on m’a dit : « Voilà tu es une fille….
Le juge : - Dès le début vous compreniez ce qu’on vous disait alors !
Marion : - Euh… oui, c’est le début de tout…
Le juge : - Alors on prend les choses vraiment au commencement !
Marion : - Si je pouvais finir.... On me disait, tu es une fille. J’ai accepté, croyant que ça ne changeait pas grand’ chose. Mais, au fil du temps, ça change beaucoup de choses. En tant que fille, on attend de moi de la douceur, de la sensibilité, peut-être de la soumission, d’être une future mère…
Le juge : - Oui, et alors : quelle relation avec les faits qui vous sont reprochés ?
Marion : - J’ai barbouillé parce que je pense que la publicité est fondamentalement sexiste. Par exemple…
Le juge : - On ne va pas vous demander de commenter la totalité des pubs qui sont montrées en France. Ce qui intéresse la Cour, c’est en quoi cela vous concerne directement. Remarquez bien que vous n’êtes pas poursuivie pour votre opinion, mais pour des faits que vous avez commis. C’est différent. C’est la nuance.
Marion : - Je ne me souviens plus exactement ce que c’était que cette pub, il y en a tellement…
Le juge : - Ah, parce que vous faîtes ça très régulièrement ?
Marion : - …??? Non !
Le juge : - Pourtant, à l’issue de cette opération, vous avez été interpellée. Ça aurait du vous marquer, j’imagine ? Voyons voir… C’était une publicité pour le Casino le Lion Vert, avec une voiture et un footballeur à gauche. Le message est très clair, sans ambiguïté me semble-t-il.
Marion - Je n’ai pas spécialement choisi cette pub là, mais …
Le juge - Pourquoi avez-vous vous barbouillé des deux côtés ?
Marion - Parce que c’est un panneau double-face. S’il y a deux faces on en fait une chacun.
Le juge - Pour des raisons pratiques, donc !
Marion - Si vous voulez…
Le juge - Pas si je veux. C’est vous qui le dîtes… Sur cette photo, on voit un autre panneau non loin. Vous n’attaquez qu’un seul panneau. Pourquoi pas cet autre panneau à quinze mètres?
Marion - Parce qu’il y a un groupe pour nous soutenir. Nous procédons de cette manière de façon à être proche de ceux qui nous soutiennent. Les gens ne peuvent être à deux endroits à la fois.
Le juge - Oui, mais il y a quinze mètres entre les deux?
Marion - Je ne sais pas comment je peux vous expliquer cela. Comment dire... Je vous explique qu’on a choisi ces panneaux plus ou moins au hasard.
Le juge - Il m’importe de savoir quelle explication vous donnez à votre geste. Peut-être est-il totalement irraisonné ? C’est encore possible.
Marion - Non, absolument pas.
Le juge - Mais si vous aviez une idée précise des choses, si vous saviez à quelle publicité vous vous attaquiez, vous devriez pouvoir me répondre. Ce n’est pas le cas.
Marion - Je ne me suis pas attaquée spécialement à cette publicité, située à cet endroit, montrant ce produit. J’attaque une publicité pour dénoncer le système de la publicité. Et j’essaie de vous expliquer depuis un bon moment que le système de la publicité est sexiste.
Le juge - Mais, justement, il n’y a pas de femme sur la publicité que vous avez taguée.
Marion - Sur celle là, non mais…
Le juge - C’est de celle-là dont nous parlons, Madame! C’est celle-là qui vous concerne. On ne va pas parler d’une autre publicité!
Marion - C’est à dire qu’il s’agit d’une pub déroulante. Il y en a trois dans un seul panneau.
Le juge - Quoi? Un panneau déroulant?
Marion - Vous pourrez aller le vérifier vous-même. Il y a trois affiches qui changent toutes les quelques minutes.
Le juge - Donc cela, c’est une raison de votre geste?
Marion - Non. Je dénonce la publicité dans son ensemble. Pas particulièrement celles-là.
Le juge - Dites-moi: en ajoutant des inscriptions, au surplus en rouge, vous ne craignez pas que ça n’ait l’effet inverse: attirer encore plus l’attention?
Marion - Si cela peut attirer l’attention sur notre message, c’est autant d’occasions de susciter le débat.
Le juge - Vous ouvrez le débat, donc?
Marion - Oui, par ces actions, on ouvre le…
Le juge - Et vous, Monsieur, dites-nous les raisons de votre geste.
Nicolas - J’ai barbouillé sur le panneau contigu : « Vous êtes des cibles ». Mais j’aurais du écrire « Nous sommes des cibles », car je m’inclus au nombre des cibles. Le panneau publicitaire barbouillé est situé au carrefour de deux avenues très passantes. De là, on peut voir 18 panneaux publicitaires de grand format. C’est une invasion manifeste de l’espace public, totalement abusive. Plus grave est que cette publicité véhicule un message sexiste – ce que Marion a tenté de vous expliquer. La publicité est une manipulation, un conditionnement. Elle incite à abolir la réflexion. Elle vise la séduction, le conditionnement, le comportement réflexe. J’enseigne la philosophie et l’éthique des sciences à des étudiants scientifiques. Je pense que l’invasion publicitaire rend notre enseignement caduc.
Le juge - Mais en ce qui vous concerne, vous avez tout à fait la capacité
de réfléchir par vous-même.
Nicolas - Je vous avoue que c’est difficile.
Le juge - Vous n’êtes pas capable de voir ce qu’il y a derrière ?
Nicolas - On a trois cents messages par jour. Ca fatigue. Ca fatigue de lutter contre des messages simplistes.
Le juge - Ils sont pas si simplistes que ça, hein, si vous avez un peu étudié la question.
Nicolas - Qu’appelle-t-on simpliste? Ils ne sont pas simples, non, ils sont simplifiants. Une publicité cache plutôt qu’elle ne montre. Elle cache le sens du produit. Nous souhaiterions plutôt être informés.
Le juge - Adressez-vous aux associations de consommateurs plutôt.
Nicolas - Je fais partie de deux associations publicitaires.
Le juge - Qu’appelez-vous associations publicitaires?
Nicolas - Je voulais dire anti-publicitaires.
Le juge - C’est un lapsus significant (sic)…
Nicolas - Je ne sais pas si c’est significatif…
Le juge - Je ne suis pas psychiatre, Monsieur. Je vous ai posé une question précise. Est-ce que vous faites partie d’une association de consommateurs?
Nicolas - J’ai déjà eu recours à des associations de consommateurs dont le travail…
Le juge - Vous en faites partie oui ou non?
Nicolas - Non, je ne fais pas partie d’une association de consommateurs.
Le juge - Donc, vous avez des modes de combat qui vous sont propres.
Nicolas - Qui nous sont propres, oui. Mais je soutiens tout à fait des campagnes qui cherchent à faire respecter une certaine déontologie du métier d’informer, si c’est encore possible.
Le juge - Vous savez qu’il existe des tribunaux pour ça. Vous pourriez nous rendre visite les jeudi après-midi. Ca vous changerait les idées.
Nicolas - Je veux bien, si vous m’invitez.
Le juge - Avec votre association, vous n’avez pas la capacité d’ester en justice, à la différence d’autres associations de consommateurs. Elles peuvent poursuivre devant une juridiction, faire interdire s’il le faut. Dans votre cas, Monsieur, votre action de contestation est un DELIT!
Nicolas - Mon action s’inscrit dans le cadre de la légitime réponse. Ce genre de démarche de contestation existe depuis longtemps.
Le juge - Laissez moi vous faire remarquer qu’il existe des associations qui luttent effectivement et juridiquement contre la publicité. Pourquoi vous n’en faites pas partie est la question que je me pose.
Nicolas - Je fais partie d'une association, Résistance à l’agression publicitaire, qui mobilise contre l’intrusion de la publicité à l’école. Les enseignants sont de plus en plus souvent démarchés par des publicitaires. On leur fournit des "kits pédagogiques"…
Le juge - Vous n’apprenez rien au tribunal!
Nicolas - Les enseignants essaient de lutter depuis quinze ou vingt ans. Des vies entières de travail, de lutte. Pour quels résultats?
Le juge - Vous ne nierez pas, Monsieur, que plus le combat est long, plus il est bon.
Nicolas - Je ne pense pas être dans un combat "agréable" en me présentant devant vous aujourd’hui.
Le juge - Si vous êtes dans la bonne voie, restez tenace.
Nicolas - Je serai effectivement tenace.
Le juge - Vous êtes pourtant poursuivi ici pour une infraction pénale ?
Nicolas - Parfaitement. Et il s’agit d’un acte mûrement réfléchi, collectivement réfléchi.
Le juge - Vous me l’avez déjà expliqué.
Nicolas - Un acte entrepris…
Le juge - Si je vous dis que vous me l’avez déjà expliqué, ce n’est pas vous qui allez me contredire, non?
Nicolas - entrepris en tant qu’enseignant et en tant que citoyen, pour mettre en débat la publicité dans l’espace public, par le seul moyen qui nous reste…
Le juge - Construisez mieux vos phrases. J’ai du mal à vous suivre!
Nicolas - Je voulais vous dire qu’aujourd’hui nos responsables politiques, ceux qui font la loi, ne peuvent plus mettre un terme à la surenchère publicitaire.
Le juge - C’est hors sujet!
Nicolas - Je ne crois pas…
Le juge - Vous souhaitiez m’expliquer pourquoi vous avez commis cet acte. Et vous êtes en train de me parler des élus locaux! Je ne vois pas le rapport. Pourquoi ne leur écrivez-vous pas?
Nicolas - On leur écrit. On va les voir. Ca ne marche pas. Vraiment, il y a un réel danger. Mes collègues enseignants perdent courage. Ils me disent: "Ce que nous faisons est une goutte d’eau dans la mer". Une goutte d’eau dans la mer! Personnellement, je me fais une autre idée du travail d’enseignant pour lequel l’État me paie. Enseigner ne serait que jeter une goutte d’eau dans la mer des messages reçus en masse qui sont autant d’incitations à l’irresponsabilité. Il y a danger. C’est le sens de mon geste…
Le juge - J’ai bien compris…
Nicolas - Un danger grave, sans réponse…
Le juge Quand je vous dit que j’ai bien compris, c’est que j’ai bien compris et que le moment est venu de vous taire!
Maître Roux - Je proteste, intervient Me Roux, défenseur des Déboulonneurs. La procédure pénale…
Le juge, hurlant: - Ce n'est pas une question de procédure pénale. Quand JE parle, tout le monde se TAIT !!! Même vous maître ! Et si j’estime que le tribunal est assez éclairé, JE suis assez éclairé. Personne ne vient discuter cela. Point barre!!!
Maître Roux - Je demande l’enregistrement de cet incident.
Le juge - On va l’acter… si ça vous amuse!
Maître Roux - Je ne peux accepter cela, Monsieur le Président!
Le juge - Vous ne pouvez pas l’accepter? Vous allez l’accepter, Maître. Que ça vous plaise ou non. Ou alors, vous changez la loi. Maintenant, je repète, tout le monde se tait! Maître, mettez-vous de côté!
(épais silence dans la salle)
Le juge (s'adressant à Guillaume) - Il ressort de la procédure qu’en ce qui vous concerne, vous n’avez pas écrit quoi que ce soit sur aucun panneau. Je me trompe?
Guillaume - Je voudrais d’abord m’excuser d’une construction de phrases manquant parfois de perfection…
Le juge - Ne vous excusez pas Monsieur. L’essentiel est que vous me transmettiez un message et que je le comprenne.
Guillaume - Je n’ai pas barbouillé le panneau en question. Mais j’ai participé activement à l’action en tant que membre du Collectif des Déboulonneurs, en totale solidarité. Je me considère au même titre que mes co-prévenus co-auteur de cette action…
Le juge - Au pire, vous seriez complice par instigation. Personne n’est poursuivi ici pour un délit d’opinion. Mais avez-vous avez participé, oui ou non, à cette action?
Guillaume - Une action de barbouillage est collective. Chacun tient un rôle nécessaire aux côtés des barbouilleurs. Pour ma part, j’étais la personne contact avec les forces de l’ordre. Lorsqu’elles sont arrivées - en nombre assez important - je les ai accueillies pour leur expliquer le sens de l’action. Nous avons convenu qu’elles laisseraient faire avant de contrôler les identités. Durant l’action, j’ai discuté avec des membres des forces de l’ordre, assez réceptifs d’ailleurs.
Le juge - J’en déduis que vous n’avez personnellement pas pris une part active dans le tracé des inscriptions.
Guillaume - Pas dans les inscriptions mais dans le déroulement de l’action.
Le juge - Je vous rappelle que ce sont les inscriptions qui sont aujourd’hui poursuivies. Maître, avez-vous des questions aux prévenus?
Maître Roux - Madame, pourriez-vous préciser en quoi vous considérez que le contenu de la publicité est sexiste?
Marion - Je suis profondément heurtée en tant que femme, par les représentations omniprésentes et dégradantes de la femme véhiculées partout par la publicité. Ce slogan, par exemple, pour une crème fraîche: « Je la bats, je la fouette et parfois elle passe à la casserole ». Il y a deux millions de femmes battues en France tous les ans. Quatre cents en meurent. Je refuse de ne pouvoir échapper à ce type de message. Ils sont affichés partout dans la rue. J’ai du recul par rapport ce que je vois, bien sûr. Mais inconsciemment, beaucoup de choses s’infiltrent, pour moi comme pour tout le monde. On représente les femmes comme des objets. Pire, comme des objets sexuels. Cela suscite une frustration sexuelle permanente, entretenue, détournée pour le profit, pour l’achat. Frustration sexuelle permanente alors qu’il y a vingt cinq mille viols tous les ans en France. Cela n’a rien d’anodin.
Le juge - Selon vous votre acte vient de là?
Marion - Evidemment. De ce raz-le-bol. De ce siège permanent par ces affiches en 4x3, tout autour de moi. De cette exhibition de femmes à moitié nues contre quoi je ne peux rien faire. Voilà pourquoi la pub est sexiste. Voilà pourquoi je m’y oppose.
Le juge - J’ai regardé les deux publicités en jeu. L’une n’a pas de rapport avec la féminité. L’autre par contre, oui. On y voit une petite fille dans les bras de sa maman, à l’occasion de la fête des mères.
Marion - C’est un bon exemple. Ce sont les mères qui…
Le juge - Il s’agit de la fête des mères. On n’allait pas représenter un père, ça paraît logique.
Marion - Pourquoi pas? Une famille, c’est une mère et aussi un père.
Maître Roux (à Nicolas) - Je voudrais savoir, si avant de vous lancer dans ce type d’action, vous aviez, Monsieur, tenté d’autres voies pour protester contre le harcèlement publicitaire?
Nicolas - Tout à fait. J’ai fait signer des pétitions. Il y a une semaine à peine, j’ai remarqué deux énormes panneaux publicitaires sur une palissade de chantier. J’ai pris mon téléphone et appelé l’élu en charge de la voirie. Il a été incapable de répondre si ces panneaux étaient légaux ou illégaux.
Le juge - Demandez à un juriste.
Nicolas - Si l’élu en charge de la voirie n’est pas en mesure de répondre à propos d’un sujet sous sa responsabilité, alors il y a un problème. Les associations sont d’accord sur un point: la loi de 1979 encadrant l’affichage publicitaire est très complexe, et ne fonctionne plus. 30 % des panneaux sont illégaux. La loi n’est pas respectée.
Le juge - Pour cela, il y a des procédures.
Nicolas - Trente milliards d’euros, c’est l’argent dépensé chaque année en publicité, trois fois le budget des universités. Comment voulez-vous que les associations luttent juridiquement!
Le juge - Je vais vous expliquer. Dans le cas d’infractions à la loi cadre de 1979, vous pouvez soit saisir le Procureur de République, soit saisir vous-même le tribunal. Ce sont les moyens légaux à votre disposition, ceux que suggérerait votre défenseur… Du moins j’imagine.
Nicolas - On ne sait plus comment faire. J’ai appelé mon élu. C’est un geste d’évidence. N’est-il pas redevable de ce qui se passe dans l’espace public? L’élu m’a dit: des panneaux aussi grands sur une palissade de chantier, il y a probablement un problème. J’attends toujours la réponse.
Les moyens démocratiques devraient pouvoir fonctionner. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
Le juge - Vous devriez faire consulter un juriste, qui vous indiquerait le meilleur moyen de lutter contre cette situation.
Nicolas - Les procédures juridiques sont extrêmement complexes et longues.
Le juge - Vous avez été capables de trouver un bon avocat, vous devriez être capables d’identifier un juriste spécialisé.
Nicolas - Je verse chaque année des cotisations à des associations qui font ce travail. Je donne de mon temps. Je participe bénévolement aux commissions locales de réglementation publicitaire. Qu’est-ce qui change? Rien du tout! On installe de plus en plus de panneaux. La publicité occupe une place démesurée. Ce n’est pas anodin On demande aux gens d’adopter un mode de consommation responsable, en matière d’énergie, de transports. Que fait-on? Des publicités pour des 4x4. Le danger est grave.
Le juge - Eh bien allez voir votre député!
Nicolas - A notre député, celui de Villeurbanne en ce qui me concerne, nous faisons une proposition: réduire la taille de l’affichage à un format de 50 x 70 cm. C’est la taille légale maximale autorisée pour l’affichage associatif à Paris. Si ça suffit pour les associations, ça devrait suffire pour l’affichage commercial.
Le juge - Le tribunal constate que vous avez parfaitement les moyens de lutter légalement.
Nicolas - Il n’y a pas d’autres choix que la désobéissance civile.
Le juge - Vous êtes en train de me démontrer le contraire, Monsieur!
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Le juge - Monsieur l’Huissier, faites entrer le premier témoin.
Le témoin entre et s’apprête à disposer quelques notes sur le pupitre à sa disposition.
Le juge - Ah, je suis désolé Madame, les notes sont interdites. Mais je suis persuadé que vous allez nous faire cela avec un parfait naturel. Mme Isabelle Darnis, quelle est votre profession?
Mme Darnis - Je suis diététicienne spécialisée en pédiatrie. Je travaille sur la prévention en milieu scolaire et sur les soins de l’obésité. Je m’occupe d’enfants, d’adolescents et d’adultes. L’obésité concerne quarante mille personnes sur le Grand Lyon. La moyenne nationale est de 15 à 16 %, soit un enfant sur six. L’accroissement de la prévalence de cette maladie depuis les années soixante alarme énormément les
professionnels. En ce qui concerne la publicité, on constate qu’elle exerce une double contrainte. D’un côté, on incite les personnes à la consommation, supposée bénéfique pour l’économie. De l’autre on développe un idéal de minceur.
C’est une double contrainte extrêmement anxiogène. Elle est source d’obésité, car on a tendance à se réconforter – entre autre – avec de la nourriture.
En outre, les publicités poussent à la surconsommation, notamment auprès des jeunes. Il est très clair que s’établit dans leur esprit une confusion entre faim et envie de manger. 70 % des publcités concernent la nourriture, avec une mise en avant des produits gras et sucrés. ll y a une vraie responsablité de la publicité. De plus en plus de jeunes gens viennent me consulter pour des schémas corporels dits "déviants"; par exemple des demandes de minceur de la part de jeunes filles, alors que d’un point de vue santé, c’est tout à fait sans nécessité et injustifié.
La publicité vient complètement discréditer les politiques de santé. Beaucoup de professionnels autour de moi sont découragés. Comment contrecarrer les 3000 messages publicitaires qui assaillent un enfant chaque jour. Nous professionnels, face à l’ampleur de la tâche, les bras nous en tombent.
Cela me met en colère. Je rejoins là l’action des Déboulonneurs. Je pense qu’il y a état d’urgence, urgence à établir un cadre de loi beaucoup plus clair, protégeant les enfants, les adolescents, les familles fragiles. L’obésité touche en effet prioritairement des personnes en difficultés sociales et culturelles, pour lesquelles le seul mode de transmission culturel est la télévision.
Le découragement des professionnels de santé est grand, tant ils se sentent peu aidés dans leur lutte contre cette maladie sur le plan politique. A tel point que l’hôpital qui m’emploie rencontre des grandes difficultés à recruter des médecins généralistes.
Que disent les médias en général à propos de l’idéal minceur? Ils disent que ce sera rapide, que ce sera facile. Ils font des promesses auxquelles on a envie de croire. Mais d’un point de vue thérapeutique, c’est le contraire qui est vrai. Cela décourage les patients.
Il y a état d’urgence, au point que l’Organisation Mondiale de la Santé vient de déclarer très clairement cette maladie nouvelle épidémie non infectieuse de l’humanité. Pour la première fois, l’épidémie fait reculer l’espérance de vie. La maladie touche des enfants de plus en plus jeunes: ma plus jeune patiente a deux ans.
Le juge - Quant cette déclaration a-t-elle eu lieu?
Mme Darnis - L’année dernière, si ma mémoire est bonne.
Maître Roux - Vous parlez d’état d’urgence et vous mentionnez votre inquiétude en ce qui concerne les enfants. Pourriez-vous développer?
Mme Darnis - Les stratégies marketing sont extrêmement agressives. Je pense qu’il est difficile pour un enfant de s’y soustraire, voire impossible. L’obésité concerne toute la population. Mais les enfants sont tout particulièrement en danger. L’obésité a des conséquences somatiques, psychiques, sociales. Elle conduit à la mort. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Il y a un devoir de la collectivité de protéger ces enfants et ces vies.
Le juge - Je vous remercie. Monsieur l’Huissier, faites entrer le second témoin.
M. Delahousse, vous êtes président de l’association Paysages de France. Que souhaitez-vous dire au Tribunal ?
M. Delahousse - Je souhaiterais souligner aujourd’hui l’immense problème d’affichage publicitaire qui affecte notre pays. Le paysage est un élément absolument essentiel du patrimoine collectif de la Nation. Or du fait de ses débordements, l’affichage cause aux paysages de notre pays des dégâts tout à fait considérables. C’est un fait dénoncé régulièrement par des personnalités aussi respectées que Michel Serres. Il n’hésite pas à qualifier d’abominations certaines entrées de ville, si laides qu’elles en laissent interloquées nombre de visiteurs étrangers.
Le juge - Dépêchez-vous. Contrairement à la personne qui vous a précédé, je n’ai pas bien compris vos compétences techniques. Je crois que vous êtes…retraité?
M. Delahousse - Parmi les actions que conduit l’association Paysage de France que je préside, il y a la lutte contre l’affichage publicitaire. C’est une expertise acquise à la force du poignet. Car autour de nous, très peu de citoyens connaissent la loi. L’infime poignée d’avocats qui la connaît le doit aux efforts de Paysage de France. Quant aux services de l’Etat, ils sont en la matière, à tout le moins... prudents.
Michel Serres qualifie les panneaux publicitaires de coup de poing atroces. Il va très loin. Il n’hésite pas à écrire dans le Monde qu’il "conviendrait de brûler les panneaux et leurs auteurs au milieu". Pour qu’une personnalité telle que ce philosophe tienne des propos d’une telle radicalité, c’est que le problème est réel. Il est suffisamment grave pour engendrer les minuscules infractions à la loi qui sont évoquées aujourd’hui ici.
Le juge - Veuillez préciser les missions de l’association, nombre d’adhérents, budget?
M. Delahousse - Je ne suis pas très porté sur les chiffres…
Le juge - Quoi? Vous êtes président de l’association et vous ne connaissez pas son budget!
M. Delahousse - Nous avons trois salariés, mille adhérents, cinquante associations locales. Pour le reste, je tiens à votre disposition tous les éléments dont vous souhaiteriez avoir connaissance.
Le juge - L’association est-elle reconnue d’utilité publique?
M. Delahousse - Elle est reconnue dans le cadre du code de l’environnement, article L-51, et également agréée par le Ministère de la Justice. Depuis quinze ans, notre association a pu se rendre compte que le code de l’environnement était - c’est un euphémisme - fort peu respecté. Des dizaines et des dizaines de milliers de panneaux publicitaires en infraction, notamment ceux des enseignes de la grande distribution.
Vous me direz ; oui, bon, il y a infraction. Vous écrivez à l’auteur de l’infraction et il se met en règle. Mais ça ne fonctionne pas du tout comme ça.
Comment les grands afficheurs ou la grande distribution réagissent-ils? En attaquant comme diffamatoire les dénonciations d’infraction. L’afficheur Clear Channel nous a ainsi attaqués. Nous sommes une association excessivement sérieuse et compétente, et nous avions tous les éléments nécessaires à notre défense. Ce procès, nous l’avons donc gagné. Mais cela a été trois ans de travail et de souffrance, pour une
association dont les moyens son limités.
En ce qui concerne l’Etat, ses services, lorsqu’on les saisit, ont un mal énorme à agir. Les saisir pour toutes les infractions serait au surplus un travail immense. En tant que citoyens, nous avons cru longtemps que l’Etat était le garant du droit républicain. Nous croyions qu’en tant qu’association, il nous suffisait de bien faire
notre travail pour parvenir à faire respecter la loi. Mais en réalité, l’Etat a le plus grand mal à ne serait-ce qu’entreprendre les actions expressément prévues par le Code de l’environnement. Bien au contraire, nous n’obtenons JAMAIS satisfaction. Cela remonte loin…
Le juge - Oui, mais pas trop loin. Actuellement, lorsque vous constatez une infraction, comment procédez-vous?
M. Delahousse - Il existe plusieurs voies, mais dans tous les cas, c’est un grain de sable dans l’océan. Nous agissons contre l’Etat, puisque, hélas, c’est le seul moyen effectif. Le code de l’environnement prévoit qu’en cas d’infraction le Maire OU le Préfet, sont tenus de mettre en demeure les contrevenants de régulariser la situation dans un délai de quinze jours. Eh bien, cela ne fonctionne pas. J’ai cru que le droit était un élément essentiel de protection du citoyen, qu’il constituait un élément fondamental du contrat social. Je m’aperçois que ce n’est pas le cas.
Le juge - Vous êtes pessimiste…
M. Delahousse - Je ne suis pas pessimiste. Ces quatre dernières années, nous avons fait condamner 18 fois l’Etat. Regrettable victoire. Encore faut-il mentionner que les démontages n’interviennent, malgré tous nos efforts, qu’après le dépôt de requêtes. D’ailleurs, à plusieurs reprises nous avons obtenu des dommages et intérêts. Nous nous sommes aussi tournés vers les plus hautes autorités de l’Etat: ministres de l’environnement – sans résultat quelle que soit leur couleur politique; ministres de l’Intérieur pour leur demander d’enjoindre les Préfets à…
Le juge - Théoriquement la loi suffit, Monsieur.
M. Delahousse - Oui… théoriquement…
Le juge - Mais vous n’agissez que devant les tribunaux administratifs?
M. Delahousse - Nullement. Nous faisons flèche de tout bois, à tel point que le rythme est difficile à suivre. Nous agissons contre les afficheurs devant les tribunaux civils. Mais il est très difficile de les saisir, car nous avons devant nous des gens extrêmement puissants sur le plan financier, dont certains sont fort retors. C’est un travail colossal.
Au pénal, nous souhaiterions vivement que la Justice délivre un signal fort à l’égard des délinquants de l’environnement. Nombre de panneaux sont installés dans des parcs naturels régionaux en toute illégalité…
Le juge - Ce n’est pas le sujet aujourd’hui.
M. Delahousse - Ce n’est pas le sujet? A raison de 88 euros d’astreinte journalière due par les afficheurs en cas de non-mise en conformité, nous avons calculé que les afficheurs ont une dette potentielle de 1500 milliards d’Euros, tant les panneaux illégaux sont nombreux. Il nous semble absolument essentiel que les vrais délinquants, ceux qui violent la loi de façon continue, 365 jours par an pendant des années, soient punis.
Le juge - Si j’ai bien compris vous avez pris l’option de saisir la Justice de manière systématique désormais?
M. Delahousse - Tout à fait.
Le juge - C’est très bien. Comment voyez-vous ces opérations de barbouillage publicitaire?
M. Delahousse - Pour notre part, nous défendons le droit. Nous restons dans le strict respect des réglementations en vigueur, puisque précisément nous en demandons l’application.
Le juge - Bien sûr.
M. Delahousse - Pour nous ce genre d’action – qui nous a parfois laissé un peu mal à l’aise – est un appel de citoyens qui s’aperçoivent que leur action est une goutte d’eau dans un océan d’obstacles et qui, après avoir tout essayé pour, concluent finalement qu’il n’y a pas d’autres moyens.
Le juge - D’une certaine manière, vous avez été débordé…
M. Delahousse - Absolument pas. Les Déboulonneurs ne sont pas issus de l’association.
Le juge - Peut-on être Déboulonneur et membre de Paysage de France?
M. Delahousse - C’est une question que nous allons débattre. Certains membres de l’association sont aussi Déboulonneurs et nous débattons au sein de notre bureau s’il faut les accueillir ou maintenir une ferme ligne légaliste.
Le juge - Il serait intéressant d’en débattre en assemblée générale plutôt qu’au sein d’un bureau.
M. Delahousse - Absolument. Nous tenons à un fonctionnement exemplaire.
Le juge - Mais vous n’avez pas répondu à ma question, à savoir si votre association accueillerait un Déboulonneur?
M. Delahousse - Je pense personnellement que c’est un moyen pour eux d’exprimer leur déception quant à l’action dans le cadre de la légalité, par rapport au jeu normal de la démocratie, tellement difficile, comme je l’ai souligné.
Le juge - Considérez vous, oui ou non, qu’il s’agit d’actes illégaux?
M. Delahousse - Ce sont de petites entorses sur des panneaux appartenant à des délinquants notoires – j’ai cru entendre qu’il y avait même un panneau Decaux. Ils violent la loi à grande échelle. Ils empochent de l’argent en conduisant des activités illégales. Ainsi ce panneau de 340 m2 qui cumulait cinq infractions…
Le juge - Considérez-vous normal de commettre un acte illégal à l’encontre
de la société Decaux?
M. Delahousse - Je ne dis pas que c’est normal, je dis que c’est compréhensible, c’est tout à fait, différent. Il y a deux poids deux mesures, entre une délinquance massive, tellement gigantesque que s’en est presque risible. Ainsi ce dernier dossier que nous avons fait parvenir à la justice: les infractions se comptent par centaines de panneaux de 12 m2 installés exclusivement par les trois grands…
Le juge - Certes, mais considérez-vous qu’inscrire des slogans sur un panneau, même appartenant à un délinquant, est légal ou illégal?
M. Delahousse - Il y a des textes qui définissent clairement ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Mais il est évident que le juge a une faculté d’appréciation…
Le juge - C’est un raisonnement par l’absurde. Est illégal ce qu’un texte déclare illégal. Je vous remercie de la précision.
M. Delahousse - Vous savez mieux que moi qu’une loi peut évoluer. Et c’est notre vif souhait que la loi évolue dans le sens d’un respect plus grand de l’environnement, d’un respect plus grand des citoyens. La législation peut évoluer, parfois même assez vite. Que la loi prévoit qu’on ne n’inscrive rien sur le bien d’autrui, cela paraît souhaitable et il ne conviendrait pas de le changer cela. Mais…
Le juge - Je vous remercie. Vous avez bien répondu à ma question.
M. Delahousse - Mais notre association souhaiterait qu’un signal pénal fort soit adressé aux vrais délinquants, qu’ils soient effectivement poursuivis afin que…
Le juge - Je vous signale que JE fais partie de la chambre spécialisée du tribunal en matière de consommation et d’environnement. En quatre ans de pratique, je ne vous ai encore jamais vu…
M. Delahousse - Nous hiérarchisons nos interventions. Nous intervenons en particulier dans les parcs régionaux, qui sont rares à Lyon. Hélas, malgré les requêtes diligentées, nous n’avons jamais assisté à des poursuites à l’encontre des représentants de Decaux, de Clear Channel ou de Viacom/CBS.
Le juge - Il serait intéressant que vous soyez à l’initiative de tout cela.
M. Delahousse - Certes. Mais force est de constater que nous avons déposé un grand nombre de plaintes sans résultat.
Le juge - Vous avez la possibilité de saisir le Tribunal directement.
M. Delahousse - Bien sûr, mais c’est beaucoup plus long. Nous connaissons bien les procédures de citation directe, de constitution de partie civile. C’est très lourd pour une association.
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Le juge - Je vous remercie. Monsieur le Procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions.
Le procureur - Il existe des milliers d’associations. Il est bon qu’il y ait des citoyens engagés dans la cité. Mais que se passerait-t-il si chacune de ces associations estimait nécessaire pour défendre une cause qui lui paraît légitime de commettre des dégradations?
J’ai été assez impressionné par certaines déclarations. On y confond la fin et les moyens. On y voit d’un côté les purs, de l’autre les impurs. Mais pour le rester, les purs ne doivent pas dévoyer leur lutte dans des dégradations. Mais au contraire militer proprement. Militer de façon morale, de manière citoyenne. Dans le respect des lois. Dans le respect de la laïcité. Ce sont là les formes de lutte efficaces.
D’autres formes de militantisme constituent des dérives. D’autres ont un parfum de totalitarisme. Il y a quelque chose de simpliste et de réducteur dans le mode d’action choisi. Ce côté commando, ce recours à des slogans qui rappellent ce contre quoi ils sont sensés lutter.
En somme quoi? On recourt à des slogans pseudo-publicitaires pour lutter contre la publicité! On s’offre un espace publicitaire aux frais de la Nation!
Les actes ne sont pas justifiables et la philosophie manque de subtilité. La publicité est la grande méchante. Pourtant, certainement, la publicité a une utilité sociale. Elle n’est pas sauvage. Elle doit se soumettre a des règles, à des lois.
Elle doit se soumettre à des règles de santé publique, contre la cigarette, contre l’alcool. A des règles de concurrence, des règles réprimant la publicité mensongère, des règles administratives. On nous dit pour se justifier qu’il n’y aurait pas d’autres possibilités. Mais bien sûr qu’il y en a! Bien sûr qu’on a les moyens de défendre son droit!
Attention à l’excès. Attention aux dérives. La fin ne justifie pas les moyens. Il y a une trentaine d’années, certains mouvements politiques ont connu des scissions. Certains prônaient l’action légale, d’autres des moyens illicites. On a fait sauter des Mac Donald. Involontairement on a tué des gens. Et on a vu des militants la larme à l’œil, venir nous expliquer combien sincère, combien juste était leur combat pour telle région ou telle culture.
Loin de moi l’idée de procéder à un amalgame. Mais quand on sort de l’action légale, quelle est la loi à l’intérieur de cette absence de loi pour empêcher de passer de l’autre côté?
Pour ces raisons, à l’encontre des deux barbouilleurs, je sollicite une amende de 500 Euros, et la relaxe en ce qui concerne Guillaume.
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Le juge - Merci M. Le Procureur. Maître Roux, qu’avez vous à nous dire?
Maître Roux - D’abord un point technique. La société JC Decaux estime son préjudice à quelque 200 Euros en adressant une simple facture. Vous savez tout comme moi, Monsieur le Président, que les règles de constitution de partie civile excluent qu’on procède soi-même à l’évaluation du préjudice qu’on a subi. Vous écarterez donc purement et simplement les prétentions de la société Decaux.
Mais au-delà ?
Au-delà, je voudrais dire aux enfants qui sont là, dans cette salle, je voudrais leur dire qu’il y a des cas où la loi elle-même prévoit la légitimité de la désobéissance civile. Oui, la loi le prévoit. C’est l’article L-122-4 du code Pénal. Depuis une certaine époque sombre de notre histoire, on enseigne qu’il y a un devoir de désobéir lorsque cela est nécessaire.
Puis-je vous rappeler, Monsieur le Président, alors que le 18 juin approche, que le général De Gaulle a été condamné à mort par les tribunaux français! De Gaulle condamné à mort parce qu’il a désobéi! Condamné à mort pour désertion par la France qu’il a sauvée! Condamné à mort au nom de la loi française!
La désobéissance est même prévue dans une instruction du Bulletin officiel des Armées qui précise que le subordonné doit refuser d’exécuter un ordre s’il prescrit un acte manifestement illégal. Cela a même été rappelé, souvenez-vous, par le Cour d’appel de Paris, dans les affaires des écoutes de l’Elysée, à un général: un ordre délivré par le président de la République ne doit pas être exécuté s’il n’est pas loyal à la Constitution.
Même un journal aussi sérieux que le Figaro titrait récemment: "Lancement d’une campagne de désobéissance civile". Il est vrai qu’il s’agit de l’Iran. Ouf!
En France, tout va bien. Il y a des associations. Elles se défendent. Avec beaucoup de difficultés. Elles ont quinze ans d’existence, mais certainement pas quinze salariés… En face se sont des milliards qui sont dépensés en publicité. En France, tout va mieux.
Arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt! Vous ne pouvez pas poursuivre. Vous n’en avez pas les moyens. Vous ne pouvez pas condamner. Alors les associations font ce qu’elles peuvent. Alors la crise mondiale de l’obésité s’étend. Alors les professionnels de la santé sont désespérés. Monsieur le professeur Got était venu ici, dans cette même salle, il y a quelques semaines, clamer ces inquiétudes face à la crise mondiale de l’obésité. La publicité est le bras armé de cette toute puissance financière et économique qui veut faire manger des saloperies à nos enfants.
On nous dit: terroristes! Ce que vous faites est très grave! Qui vole un œuf vole un bœuf!
Vous avez tous les éléments pour condamner les petits barbouilleurs, mais pas les moyens de poursuivre les délinquants publicitaires à grande échelle. Problème existentiel. « Le juge, disait en substance un éminent professeur de droit que nous avons tous étudié, s’il a l’intime conviction que la loi est injuste peut proposer des réformes, des améliorations. Mais c’est dans le domaine qui lui est propre, celui de l’interprétation, que l’ardeur combative du magistrat peut légitimement s’exercer ».
On ne peut accepter de baisser les bras et dire: il n’y a rien à faire. C’est faire bien peu de cas de l’autorité judiciaire! La situation est grave, la situation est urgente. Les prévenus ont posé un acte symbolique, non violent, à visage découvert. C’est un acte d’interpellation lancé aux maires, aux conseillers généraux, aux députés, au président de la République. Il ne font RIEN. Pourquoi ne font-ils rien? Car ils sont trop liés au monde des puissances financières.
Pourquoi aller devant le tribunal? Parce que les hommes politiques n’ont plus les moyens. Le problème est là! La Justice comme recours ! Oui, vous, en tant que juge, vous êtes le seul totalement indépendant, à l’abri des lobbys financiers. Vous avez la loi. La loi de ce pays qui a inventé la notion d’état de nécessité. Une notion inventée par les juges eux-mêmes. Dans cette France de l’après-guerre, si démunie, alors que l’Abbé Pierre lançait son appel, les juges ont refusé de condamner des miséreux sans toit, contraints de squatter la propriété d’autrui. Ils les ont relaxés.
Vous ne pouvez pas dire que vous n’avez aucun pouvoir. Oui, l’action des Déboulonneurs est illégale, mais elle est légitime. Mais elle s’inscrit dans la notion de nécessité. Qui a fait évoluer le droit à l’objection de conscience? Les juges! Quand ils se sont mis à refuser de condamner!
Vous avez la capacité à faire évoluer le droit. Que dit l’article 122-7? « N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».
Je voudrais vous entendre dire: « Nous n’avons pas les moyens de poursuivre les Déboulonneurs ». Ecoutons les publicités que les publicitaires se font à eux-mêmes: « Celui qui tient la rue tient l’opinion » ou encore « sur-représentation des cibles ». Nous sommes des cibles. Nos enfants à qui ont veut faire manger des saletés sont des cibles! Ah bien sûr, on peut se contenter de dire: dormons tranquilles, il y a Paysages de France!
Voyons encore ce qu’a dit le Tribunal dans l’affaire des caricatures de Mahomet: « Nul n’est tenu d’acheter Charlie Hebdo à la différences des affiches qui s’imposent à l’attention publique! ». « A la différences des affiches qui s’imposent à l’attention publique! ».
La différence est là! Il faut acheter Charlie Hebdo. Mais les affiches, elles, s’approprient l’espace public. Vous parlez de propriété d’autrui, Monsieur le Procureur. L’annonceur paie pour un panneau. Mais il ne paie pas pour l’espace public. Et cet espace ne lui appartient pas. Rappelons aussi la trop fameuse remarque de l’ex-PDG de TFI, M. Patrick Le Lay, sur le temps de cerveau disponible qu’il vend à Coca Cola. Depuis quand TF1 est-elle propriétaire des cerveaux? Est-ce cela la société que vous défendez M. Le Procureur?
Les Déboulonneurs ont commis un acte symbolique, nécessaire, pour défendre autrui. Ce sont ces gens dont parlait Hannah Arendt, des gens qui s’engagent, qui produisent de la loi, de manière délibérée, en conscience, collectivement. Voilà les acquis de la désobéissance civile. Voilà ce qui a construit le droit, et au tout premier chef, le droit du travail. N’est-ce pas dans les luttes que s’est forgé notre droit du travail?
Vous mêmes, magistrats, votre profession, avez eu il y a peu à subir les propos peu amènes d’un certain ministre de l’Intérieur. Vous êtes sortis en robe sur les marches des palais. Oui, il arrive que la rébellion soit légitime!
Les Déboulonneurs sont des gens qui habitent leur parole et croient comme Gandhi que la fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence. Ils ont pris une décision riche de sens; on va venir devant un tribunal essayer de se faire comprendre.
Les Déboulonneurs, il y a cinq semaines, ont été jugés dans ce même tribunal pour de simples contraventions. Ils ont été dispensés de peine.
Aujourd’hui ils sont poursuivis pour un délit. Il y a contradiction. Je vous demande de requalifier les faits en simples contraventions.
Qu’a demandé le tribunal de Montpellier pour des affaires similaires? Deux cents euros d’amende. A Paris, c’est un Euro qu’a demandé la Cour. Le tribunal de Lyon les a dispensés de peine tout récemment. Je vous demande de les relaxer. La relaxe, la preuve de l’ardeur combative du magistrat.
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Le juge - Je vous remercie Maître.
Madame et Messieurs les prévenus, dans l’hypothèse où vous seriez condamnés, la loi dispose que deux types de peines alternatives peuvent être proposées: soit des travaux d’intérêt général, soit des stages de citoyenneté. Je me dois de recueillir votre accord. Qu’en pensez-vous?
Guillaume - J’accepterais un travail d’intérêt général uniquement s’il s’agit de démantèlement de panneaux publicitaires.
Le juge – Ce n’est pas à la carte. Je ne peux en décider. C’est la prérogative du juge d’application des peines.
Guillaume - Dans ce cas je refuse.
Le juge - Et vous Madame?
Marion - Je refuse l’un et l’autre.
Le juge - Quant à vous?
Nicolas - Pareillement, je refuse l’un et l’autre.
Bien. Le verdict sera rendu sous quinze jours, c’est à dire (compulsant
son agenda), le lundi 21 juin.
Murmures dans la salle. « Le lundi en quinze, c’est le 18, pas le 21. »
Le juge - Vous n’allez quand même pas m’apprendre à compter. J’ai dit verdict le lundi 21.
Re-murmures
Le juge (recompulsant son agenda) - J’ai donc dit que le verdict serait rendu le lundi 18, même heure!
15h45, la salle se vide lentement.
Prévenus pour avoir le 27 mai 2006 à Lyon barbouillé un panneau publicitaire de la société JC Decaux, Marion et Nicolas ont été condamnés le 18 juin 2007 à des peines d'amende de 500 euros avec sursis, épilogue du procès en correctionnelle tenu le 4 juin. Un troisième déboulonneur, Guillaume, ayant participé à l'action sans barbouiller, a été relaxé.
Ce jugement, décevant au regard de la stratégie de désobéissance civile non-violente qui est celle des déboulonneurs, doit être replacé dans la durée. Depuis un an, 6 procès en France ont permis de fait état, devant la justice, du problème de l'envahissement publicitaire. Les deux précédents jugements (à Lyon et à Rouen) ont été très favorables (dispense de peine et 1 euro symbolique). La nocivité, l'irresponsabilité et la laideur de la publicité ont été dénoncées dans le souci de l'intérêt public. De nombreux témoins et soutiens sont venus à nos côtés pour appuyer ce combat juste.
Le dernier mot que nous retenons n'est pas le délibéré particulièrement sévère du président de la Cour correctionnelle, mais plutôt ce qu'il déclarait ironiquement lors du procès : "Plus le combat est long, plus il est bon". Nous continuerons, aussi longtemps qu'il le faudra, de manière non-violente à nous battre contre la démission des pouvoirs publics face à l'envahissement publicitaire.
En attendant, nous prévoyons de nous retrouver le 29 juin à Lyon pour discuter sereinement de la suite. Si vous voulez nous rejoindre pour la soirée, répondez donc à ce message!
Avec nos salutations antipublicitaires,
Collectif des Déboulonneurs
187 montée de Choulans,
69005 Lyon
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Audience du Tribunal Correctionnel de Lyon
Lyon, 4 juin, 14 heures, audience de la 8ème chambre correctionnelle. En procès, une barbouilleuse et deux barbouilleurs ayant à la peinture inscrit des slogans anti-publicitaires sur deux dispositifs de la société Decaux.
La salle d’audience nous est désormais familière. Les Déboulonneurs y ont comparu le 2 mai. Même bancs de bois, même éclairage ajusté, faits comparables.
Pourtant, l’enceinte accueille aujourd’hui une audience du Tribunal Correctionnel, et non plus de police. Mystères de la procédure…
Autres différences notables. La salle, cette fois, n’est pas comble. Non, elle est archi-comble. Des Déboulonneurs de Lyon, de Paris, des grenoblois, pas mal d’élus et de journalistes. Une classe du secondaire est présente. Ils ne seront pas déçus du voyage. Quand la désobéissance civile sert à l’éducation civique...
A noter aussi, cela a son importance : la présidence est masculine.
Quelques affaires plus classiques, d’abord, au pas de charge. Un jeune beur, dont l’état civil peu sûr le renvoie à un futur tout aussi incertain. Un Roumain, ensuite, menottes aux poignets, la trentaine. Il purge actuellement une peine de six mois de prison pour violences sur sa compagne.
- Vous n’avez pas d’avocat ? interroge le Président
- Non, je ne sais pas lire et l’assistante sociale était en vacances.
Le Président, séance tenante, hèle une avocate :
- Maître, passez dans la salle à côté préparer la défense de Monsieur. On se revoit dans quelques instants.
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Ceci expédié, on passe aux Déboulonneurs.
On vérifie d’abord l’identité des témoins, qu’on expédie aussitôt dans la salle à côté, afin probablement que les propos des prévenus ne polluent pas la virginité des leurs.
Le juge - Marion , 20 ans, Guillaume, 27 ans et Nicolas, 30 ans, vos casiers judiciaires sont vierges. Il vous est reproché d’avoir, à Lyon le 27 mai 2006, tracé des inscriptions sur du mobilier urbain causant des dommages légers à la société Jean-Claude Decaux.
Marion et Nicolas, vous reconnaissez les faits, mais pas vous Guillaume ?
Guillaume - Je ne reconnais pas avoir barbouillé.
Le juge - On vous reproche donc d’avoir au sein d’un groupe de personnes tracé des inscriptions sans autorisation préalable sur des panneaux publicitaires : « Vous êtes des cibles » et « Pub=invasion»
Vous avez précisé qu’il s’agissait de peinture effaçable qui ne causait aucune espèce de dégradation. Pour ces faits, la société Jean-Claude Decaux, qui s’est portée partie civile mais n’est pas représentée aujourd’hui, estime les frais de nettoiement engagés à 221,80 Euros.
Madame, comment expliquez vous, les faits qui vous sont reprochés ?
Marion : - Quand je suis née, on m’a dit : « Voilà tu es une fille….
Le juge : - Dès le début vous compreniez ce qu’on vous disait alors !
Marion : - Euh… oui, c’est le début de tout…
Le juge : - Alors on prend les choses vraiment au commencement !
Marion : - Si je pouvais finir.... On me disait, tu es une fille. J’ai accepté, croyant que ça ne changeait pas grand’ chose. Mais, au fil du temps, ça change beaucoup de choses. En tant que fille, on attend de moi de la douceur, de la sensibilité, peut-être de la soumission, d’être une future mère…
Le juge : - Oui, et alors : quelle relation avec les faits qui vous sont reprochés ?
Marion : - J’ai barbouillé parce que je pense que la publicité est fondamentalement sexiste. Par exemple…
Le juge : - On ne va pas vous demander de commenter la totalité des pubs qui sont montrées en France. Ce qui intéresse la Cour, c’est en quoi cela vous concerne directement. Remarquez bien que vous n’êtes pas poursuivie pour votre opinion, mais pour des faits que vous avez commis. C’est différent. C’est la nuance.
Marion : - Je ne me souviens plus exactement ce que c’était que cette pub, il y en a tellement…
Le juge : - Ah, parce que vous faîtes ça très régulièrement ?
Marion : - …??? Non !
Le juge : - Pourtant, à l’issue de cette opération, vous avez été interpellée. Ça aurait du vous marquer, j’imagine ? Voyons voir… C’était une publicité pour le Casino le Lion Vert, avec une voiture et un footballeur à gauche. Le message est très clair, sans ambiguïté me semble-t-il.
Marion - Je n’ai pas spécialement choisi cette pub là, mais …
Le juge - Pourquoi avez-vous vous barbouillé des deux côtés ?
Marion - Parce que c’est un panneau double-face. S’il y a deux faces on en fait une chacun.
Le juge - Pour des raisons pratiques, donc !
Marion - Si vous voulez…
Le juge - Pas si je veux. C’est vous qui le dîtes… Sur cette photo, on voit un autre panneau non loin. Vous n’attaquez qu’un seul panneau. Pourquoi pas cet autre panneau à quinze mètres?
Marion - Parce qu’il y a un groupe pour nous soutenir. Nous procédons de cette manière de façon à être proche de ceux qui nous soutiennent. Les gens ne peuvent être à deux endroits à la fois.
Le juge - Oui, mais il y a quinze mètres entre les deux?
Marion - Je ne sais pas comment je peux vous expliquer cela. Comment dire... Je vous explique qu’on a choisi ces panneaux plus ou moins au hasard.
Le juge - Il m’importe de savoir quelle explication vous donnez à votre geste. Peut-être est-il totalement irraisonné ? C’est encore possible.
Marion - Non, absolument pas.
Le juge - Mais si vous aviez une idée précise des choses, si vous saviez à quelle publicité vous vous attaquiez, vous devriez pouvoir me répondre. Ce n’est pas le cas.
Marion - Je ne me suis pas attaquée spécialement à cette publicité, située à cet endroit, montrant ce produit. J’attaque une publicité pour dénoncer le système de la publicité. Et j’essaie de vous expliquer depuis un bon moment que le système de la publicité est sexiste.
Le juge - Mais, justement, il n’y a pas de femme sur la publicité que vous avez taguée.
Marion - Sur celle là, non mais…
Le juge - C’est de celle-là dont nous parlons, Madame! C’est celle-là qui vous concerne. On ne va pas parler d’une autre publicité!
Marion - C’est à dire qu’il s’agit d’une pub déroulante. Il y en a trois dans un seul panneau.
Le juge - Quoi? Un panneau déroulant?
Marion - Vous pourrez aller le vérifier vous-même. Il y a trois affiches qui changent toutes les quelques minutes.
Le juge - Donc cela, c’est une raison de votre geste?
Marion - Non. Je dénonce la publicité dans son ensemble. Pas particulièrement celles-là.
Le juge - Dites-moi: en ajoutant des inscriptions, au surplus en rouge, vous ne craignez pas que ça n’ait l’effet inverse: attirer encore plus l’attention?
Marion - Si cela peut attirer l’attention sur notre message, c’est autant d’occasions de susciter le débat.
Le juge - Vous ouvrez le débat, donc?
Marion - Oui, par ces actions, on ouvre le…
Le juge - Et vous, Monsieur, dites-nous les raisons de votre geste.
Nicolas - J’ai barbouillé sur le panneau contigu : « Vous êtes des cibles ». Mais j’aurais du écrire « Nous sommes des cibles », car je m’inclus au nombre des cibles. Le panneau publicitaire barbouillé est situé au carrefour de deux avenues très passantes. De là, on peut voir 18 panneaux publicitaires de grand format. C’est une invasion manifeste de l’espace public, totalement abusive. Plus grave est que cette publicité véhicule un message sexiste – ce que Marion a tenté de vous expliquer. La publicité est une manipulation, un conditionnement. Elle incite à abolir la réflexion. Elle vise la séduction, le conditionnement, le comportement réflexe. J’enseigne la philosophie et l’éthique des sciences à des étudiants scientifiques. Je pense que l’invasion publicitaire rend notre enseignement caduc.
Le juge - Mais en ce qui vous concerne, vous avez tout à fait la capacité
de réfléchir par vous-même.
Nicolas - Je vous avoue que c’est difficile.
Le juge - Vous n’êtes pas capable de voir ce qu’il y a derrière ?
Nicolas - On a trois cents messages par jour. Ca fatigue. Ca fatigue de lutter contre des messages simplistes.
Le juge - Ils sont pas si simplistes que ça, hein, si vous avez un peu étudié la question.
Nicolas - Qu’appelle-t-on simpliste? Ils ne sont pas simples, non, ils sont simplifiants. Une publicité cache plutôt qu’elle ne montre. Elle cache le sens du produit. Nous souhaiterions plutôt être informés.
Le juge - Adressez-vous aux associations de consommateurs plutôt.
Nicolas - Je fais partie de deux associations publicitaires.
Le juge - Qu’appelez-vous associations publicitaires?
Nicolas - Je voulais dire anti-publicitaires.
Le juge - C’est un lapsus significant (sic)…
Nicolas - Je ne sais pas si c’est significatif…
Le juge - Je ne suis pas psychiatre, Monsieur. Je vous ai posé une question précise. Est-ce que vous faites partie d’une association de consommateurs?
Nicolas - J’ai déjà eu recours à des associations de consommateurs dont le travail…
Le juge - Vous en faites partie oui ou non?
Nicolas - Non, je ne fais pas partie d’une association de consommateurs.
Le juge - Donc, vous avez des modes de combat qui vous sont propres.
Nicolas - Qui nous sont propres, oui. Mais je soutiens tout à fait des campagnes qui cherchent à faire respecter une certaine déontologie du métier d’informer, si c’est encore possible.
Le juge - Vous savez qu’il existe des tribunaux pour ça. Vous pourriez nous rendre visite les jeudi après-midi. Ca vous changerait les idées.
Nicolas - Je veux bien, si vous m’invitez.
Le juge - Avec votre association, vous n’avez pas la capacité d’ester en justice, à la différence d’autres associations de consommateurs. Elles peuvent poursuivre devant une juridiction, faire interdire s’il le faut. Dans votre cas, Monsieur, votre action de contestation est un DELIT!
Nicolas - Mon action s’inscrit dans le cadre de la légitime réponse. Ce genre de démarche de contestation existe depuis longtemps.
Le juge - Laissez moi vous faire remarquer qu’il existe des associations qui luttent effectivement et juridiquement contre la publicité. Pourquoi vous n’en faites pas partie est la question que je me pose.
Nicolas - Je fais partie d'une association, Résistance à l’agression publicitaire, qui mobilise contre l’intrusion de la publicité à l’école. Les enseignants sont de plus en plus souvent démarchés par des publicitaires. On leur fournit des "kits pédagogiques"…
Le juge - Vous n’apprenez rien au tribunal!
Nicolas - Les enseignants essaient de lutter depuis quinze ou vingt ans. Des vies entières de travail, de lutte. Pour quels résultats?
Le juge - Vous ne nierez pas, Monsieur, que plus le combat est long, plus il est bon.
Nicolas - Je ne pense pas être dans un combat "agréable" en me présentant devant vous aujourd’hui.
Le juge - Si vous êtes dans la bonne voie, restez tenace.
Nicolas - Je serai effectivement tenace.
Le juge - Vous êtes pourtant poursuivi ici pour une infraction pénale ?
Nicolas - Parfaitement. Et il s’agit d’un acte mûrement réfléchi, collectivement réfléchi.
Le juge - Vous me l’avez déjà expliqué.
Nicolas - Un acte entrepris…
Le juge - Si je vous dis que vous me l’avez déjà expliqué, ce n’est pas vous qui allez me contredire, non?
Nicolas - entrepris en tant qu’enseignant et en tant que citoyen, pour mettre en débat la publicité dans l’espace public, par le seul moyen qui nous reste…
Le juge - Construisez mieux vos phrases. J’ai du mal à vous suivre!
Nicolas - Je voulais vous dire qu’aujourd’hui nos responsables politiques, ceux qui font la loi, ne peuvent plus mettre un terme à la surenchère publicitaire.
Le juge - C’est hors sujet!
Nicolas - Je ne crois pas…
Le juge - Vous souhaitiez m’expliquer pourquoi vous avez commis cet acte. Et vous êtes en train de me parler des élus locaux! Je ne vois pas le rapport. Pourquoi ne leur écrivez-vous pas?
Nicolas - On leur écrit. On va les voir. Ca ne marche pas. Vraiment, il y a un réel danger. Mes collègues enseignants perdent courage. Ils me disent: "Ce que nous faisons est une goutte d’eau dans la mer". Une goutte d’eau dans la mer! Personnellement, je me fais une autre idée du travail d’enseignant pour lequel l’État me paie. Enseigner ne serait que jeter une goutte d’eau dans la mer des messages reçus en masse qui sont autant d’incitations à l’irresponsabilité. Il y a danger. C’est le sens de mon geste…
Le juge - J’ai bien compris…
Nicolas - Un danger grave, sans réponse…
Le juge Quand je vous dit que j’ai bien compris, c’est que j’ai bien compris et que le moment est venu de vous taire!
Maître Roux - Je proteste, intervient Me Roux, défenseur des Déboulonneurs. La procédure pénale…
Le juge, hurlant: - Ce n'est pas une question de procédure pénale. Quand JE parle, tout le monde se TAIT !!! Même vous maître ! Et si j’estime que le tribunal est assez éclairé, JE suis assez éclairé. Personne ne vient discuter cela. Point barre!!!
Maître Roux - Je demande l’enregistrement de cet incident.
Le juge - On va l’acter… si ça vous amuse!
Maître Roux - Je ne peux accepter cela, Monsieur le Président!
Le juge - Vous ne pouvez pas l’accepter? Vous allez l’accepter, Maître. Que ça vous plaise ou non. Ou alors, vous changez la loi. Maintenant, je repète, tout le monde se tait! Maître, mettez-vous de côté!
(épais silence dans la salle)
Le juge (s'adressant à Guillaume) - Il ressort de la procédure qu’en ce qui vous concerne, vous n’avez pas écrit quoi que ce soit sur aucun panneau. Je me trompe?
Guillaume - Je voudrais d’abord m’excuser d’une construction de phrases manquant parfois de perfection…
Le juge - Ne vous excusez pas Monsieur. L’essentiel est que vous me transmettiez un message et que je le comprenne.
Guillaume - Je n’ai pas barbouillé le panneau en question. Mais j’ai participé activement à l’action en tant que membre du Collectif des Déboulonneurs, en totale solidarité. Je me considère au même titre que mes co-prévenus co-auteur de cette action…
Le juge - Au pire, vous seriez complice par instigation. Personne n’est poursuivi ici pour un délit d’opinion. Mais avez-vous avez participé, oui ou non, à cette action?
Guillaume - Une action de barbouillage est collective. Chacun tient un rôle nécessaire aux côtés des barbouilleurs. Pour ma part, j’étais la personne contact avec les forces de l’ordre. Lorsqu’elles sont arrivées - en nombre assez important - je les ai accueillies pour leur expliquer le sens de l’action. Nous avons convenu qu’elles laisseraient faire avant de contrôler les identités. Durant l’action, j’ai discuté avec des membres des forces de l’ordre, assez réceptifs d’ailleurs.
Le juge - J’en déduis que vous n’avez personnellement pas pris une part active dans le tracé des inscriptions.
Guillaume - Pas dans les inscriptions mais dans le déroulement de l’action.
Le juge - Je vous rappelle que ce sont les inscriptions qui sont aujourd’hui poursuivies. Maître, avez-vous des questions aux prévenus?
Maître Roux - Madame, pourriez-vous préciser en quoi vous considérez que le contenu de la publicité est sexiste?
Marion - Je suis profondément heurtée en tant que femme, par les représentations omniprésentes et dégradantes de la femme véhiculées partout par la publicité. Ce slogan, par exemple, pour une crème fraîche: « Je la bats, je la fouette et parfois elle passe à la casserole ». Il y a deux millions de femmes battues en France tous les ans. Quatre cents en meurent. Je refuse de ne pouvoir échapper à ce type de message. Ils sont affichés partout dans la rue. J’ai du recul par rapport ce que je vois, bien sûr. Mais inconsciemment, beaucoup de choses s’infiltrent, pour moi comme pour tout le monde. On représente les femmes comme des objets. Pire, comme des objets sexuels. Cela suscite une frustration sexuelle permanente, entretenue, détournée pour le profit, pour l’achat. Frustration sexuelle permanente alors qu’il y a vingt cinq mille viols tous les ans en France. Cela n’a rien d’anodin.
Le juge - Selon vous votre acte vient de là?
Marion - Evidemment. De ce raz-le-bol. De ce siège permanent par ces affiches en 4x3, tout autour de moi. De cette exhibition de femmes à moitié nues contre quoi je ne peux rien faire. Voilà pourquoi la pub est sexiste. Voilà pourquoi je m’y oppose.
Le juge - J’ai regardé les deux publicités en jeu. L’une n’a pas de rapport avec la féminité. L’autre par contre, oui. On y voit une petite fille dans les bras de sa maman, à l’occasion de la fête des mères.
Marion - C’est un bon exemple. Ce sont les mères qui…
Le juge - Il s’agit de la fête des mères. On n’allait pas représenter un père, ça paraît logique.
Marion - Pourquoi pas? Une famille, c’est une mère et aussi un père.
Maître Roux (à Nicolas) - Je voudrais savoir, si avant de vous lancer dans ce type d’action, vous aviez, Monsieur, tenté d’autres voies pour protester contre le harcèlement publicitaire?
Nicolas - Tout à fait. J’ai fait signer des pétitions. Il y a une semaine à peine, j’ai remarqué deux énormes panneaux publicitaires sur une palissade de chantier. J’ai pris mon téléphone et appelé l’élu en charge de la voirie. Il a été incapable de répondre si ces panneaux étaient légaux ou illégaux.
Le juge - Demandez à un juriste.
Nicolas - Si l’élu en charge de la voirie n’est pas en mesure de répondre à propos d’un sujet sous sa responsabilité, alors il y a un problème. Les associations sont d’accord sur un point: la loi de 1979 encadrant l’affichage publicitaire est très complexe, et ne fonctionne plus. 30 % des panneaux sont illégaux. La loi n’est pas respectée.
Le juge - Pour cela, il y a des procédures.
Nicolas - Trente milliards d’euros, c’est l’argent dépensé chaque année en publicité, trois fois le budget des universités. Comment voulez-vous que les associations luttent juridiquement!
Le juge - Je vais vous expliquer. Dans le cas d’infractions à la loi cadre de 1979, vous pouvez soit saisir le Procureur de République, soit saisir vous-même le tribunal. Ce sont les moyens légaux à votre disposition, ceux que suggérerait votre défenseur… Du moins j’imagine.
Nicolas - On ne sait plus comment faire. J’ai appelé mon élu. C’est un geste d’évidence. N’est-il pas redevable de ce qui se passe dans l’espace public? L’élu m’a dit: des panneaux aussi grands sur une palissade de chantier, il y a probablement un problème. J’attends toujours la réponse.
Les moyens démocratiques devraient pouvoir fonctionner. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
Le juge - Vous devriez faire consulter un juriste, qui vous indiquerait le meilleur moyen de lutter contre cette situation.
Nicolas - Les procédures juridiques sont extrêmement complexes et longues.
Le juge - Vous avez été capables de trouver un bon avocat, vous devriez être capables d’identifier un juriste spécialisé.
Nicolas - Je verse chaque année des cotisations à des associations qui font ce travail. Je donne de mon temps. Je participe bénévolement aux commissions locales de réglementation publicitaire. Qu’est-ce qui change? Rien du tout! On installe de plus en plus de panneaux. La publicité occupe une place démesurée. Ce n’est pas anodin On demande aux gens d’adopter un mode de consommation responsable, en matière d’énergie, de transports. Que fait-on? Des publicités pour des 4x4. Le danger est grave.
Le juge - Eh bien allez voir votre député!
Nicolas - A notre député, celui de Villeurbanne en ce qui me concerne, nous faisons une proposition: réduire la taille de l’affichage à un format de 50 x 70 cm. C’est la taille légale maximale autorisée pour l’affichage associatif à Paris. Si ça suffit pour les associations, ça devrait suffire pour l’affichage commercial.
Le juge - Le tribunal constate que vous avez parfaitement les moyens de lutter légalement.
Nicolas - Il n’y a pas d’autres choix que la désobéissance civile.
Le juge - Vous êtes en train de me démontrer le contraire, Monsieur!
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Le juge - Monsieur l’Huissier, faites entrer le premier témoin.
Le témoin entre et s’apprête à disposer quelques notes sur le pupitre à sa disposition.
Le juge - Ah, je suis désolé Madame, les notes sont interdites. Mais je suis persuadé que vous allez nous faire cela avec un parfait naturel. Mme Isabelle Darnis, quelle est votre profession?
Mme Darnis - Je suis diététicienne spécialisée en pédiatrie. Je travaille sur la prévention en milieu scolaire et sur les soins de l’obésité. Je m’occupe d’enfants, d’adolescents et d’adultes. L’obésité concerne quarante mille personnes sur le Grand Lyon. La moyenne nationale est de 15 à 16 %, soit un enfant sur six. L’accroissement de la prévalence de cette maladie depuis les années soixante alarme énormément les
professionnels. En ce qui concerne la publicité, on constate qu’elle exerce une double contrainte. D’un côté, on incite les personnes à la consommation, supposée bénéfique pour l’économie. De l’autre on développe un idéal de minceur.
C’est une double contrainte extrêmement anxiogène. Elle est source d’obésité, car on a tendance à se réconforter – entre autre – avec de la nourriture.
En outre, les publicités poussent à la surconsommation, notamment auprès des jeunes. Il est très clair que s’établit dans leur esprit une confusion entre faim et envie de manger. 70 % des publcités concernent la nourriture, avec une mise en avant des produits gras et sucrés. ll y a une vraie responsablité de la publicité. De plus en plus de jeunes gens viennent me consulter pour des schémas corporels dits "déviants"; par exemple des demandes de minceur de la part de jeunes filles, alors que d’un point de vue santé, c’est tout à fait sans nécessité et injustifié.
La publicité vient complètement discréditer les politiques de santé. Beaucoup de professionnels autour de moi sont découragés. Comment contrecarrer les 3000 messages publicitaires qui assaillent un enfant chaque jour. Nous professionnels, face à l’ampleur de la tâche, les bras nous en tombent.
Cela me met en colère. Je rejoins là l’action des Déboulonneurs. Je pense qu’il y a état d’urgence, urgence à établir un cadre de loi beaucoup plus clair, protégeant les enfants, les adolescents, les familles fragiles. L’obésité touche en effet prioritairement des personnes en difficultés sociales et culturelles, pour lesquelles le seul mode de transmission culturel est la télévision.
Le découragement des professionnels de santé est grand, tant ils se sentent peu aidés dans leur lutte contre cette maladie sur le plan politique. A tel point que l’hôpital qui m’emploie rencontre des grandes difficultés à recruter des médecins généralistes.
Que disent les médias en général à propos de l’idéal minceur? Ils disent que ce sera rapide, que ce sera facile. Ils font des promesses auxquelles on a envie de croire. Mais d’un point de vue thérapeutique, c’est le contraire qui est vrai. Cela décourage les patients.
Il y a état d’urgence, au point que l’Organisation Mondiale de la Santé vient de déclarer très clairement cette maladie nouvelle épidémie non infectieuse de l’humanité. Pour la première fois, l’épidémie fait reculer l’espérance de vie. La maladie touche des enfants de plus en plus jeunes: ma plus jeune patiente a deux ans.
Le juge - Quant cette déclaration a-t-elle eu lieu?
Mme Darnis - L’année dernière, si ma mémoire est bonne.
Maître Roux - Vous parlez d’état d’urgence et vous mentionnez votre inquiétude en ce qui concerne les enfants. Pourriez-vous développer?
Mme Darnis - Les stratégies marketing sont extrêmement agressives. Je pense qu’il est difficile pour un enfant de s’y soustraire, voire impossible. L’obésité concerne toute la population. Mais les enfants sont tout particulièrement en danger. L’obésité a des conséquences somatiques, psychiques, sociales. Elle conduit à la mort. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Il y a un devoir de la collectivité de protéger ces enfants et ces vies.
Le juge - Je vous remercie. Monsieur l’Huissier, faites entrer le second témoin.
M. Delahousse, vous êtes président de l’association Paysages de France. Que souhaitez-vous dire au Tribunal ?
M. Delahousse - Je souhaiterais souligner aujourd’hui l’immense problème d’affichage publicitaire qui affecte notre pays. Le paysage est un élément absolument essentiel du patrimoine collectif de la Nation. Or du fait de ses débordements, l’affichage cause aux paysages de notre pays des dégâts tout à fait considérables. C’est un fait dénoncé régulièrement par des personnalités aussi respectées que Michel Serres. Il n’hésite pas à qualifier d’abominations certaines entrées de ville, si laides qu’elles en laissent interloquées nombre de visiteurs étrangers.
Le juge - Dépêchez-vous. Contrairement à la personne qui vous a précédé, je n’ai pas bien compris vos compétences techniques. Je crois que vous êtes…retraité?
M. Delahousse - Parmi les actions que conduit l’association Paysage de France que je préside, il y a la lutte contre l’affichage publicitaire. C’est une expertise acquise à la force du poignet. Car autour de nous, très peu de citoyens connaissent la loi. L’infime poignée d’avocats qui la connaît le doit aux efforts de Paysage de France. Quant aux services de l’Etat, ils sont en la matière, à tout le moins... prudents.
Michel Serres qualifie les panneaux publicitaires de coup de poing atroces. Il va très loin. Il n’hésite pas à écrire dans le Monde qu’il "conviendrait de brûler les panneaux et leurs auteurs au milieu". Pour qu’une personnalité telle que ce philosophe tienne des propos d’une telle radicalité, c’est que le problème est réel. Il est suffisamment grave pour engendrer les minuscules infractions à la loi qui sont évoquées aujourd’hui ici.
Le juge - Veuillez préciser les missions de l’association, nombre d’adhérents, budget?
M. Delahousse - Je ne suis pas très porté sur les chiffres…
Le juge - Quoi? Vous êtes président de l’association et vous ne connaissez pas son budget!
M. Delahousse - Nous avons trois salariés, mille adhérents, cinquante associations locales. Pour le reste, je tiens à votre disposition tous les éléments dont vous souhaiteriez avoir connaissance.
Le juge - L’association est-elle reconnue d’utilité publique?
M. Delahousse - Elle est reconnue dans le cadre du code de l’environnement, article L-51, et également agréée par le Ministère de la Justice. Depuis quinze ans, notre association a pu se rendre compte que le code de l’environnement était - c’est un euphémisme - fort peu respecté. Des dizaines et des dizaines de milliers de panneaux publicitaires en infraction, notamment ceux des enseignes de la grande distribution.
Vous me direz ; oui, bon, il y a infraction. Vous écrivez à l’auteur de l’infraction et il se met en règle. Mais ça ne fonctionne pas du tout comme ça.
Comment les grands afficheurs ou la grande distribution réagissent-ils? En attaquant comme diffamatoire les dénonciations d’infraction. L’afficheur Clear Channel nous a ainsi attaqués. Nous sommes une association excessivement sérieuse et compétente, et nous avions tous les éléments nécessaires à notre défense. Ce procès, nous l’avons donc gagné. Mais cela a été trois ans de travail et de souffrance, pour une
association dont les moyens son limités.
En ce qui concerne l’Etat, ses services, lorsqu’on les saisit, ont un mal énorme à agir. Les saisir pour toutes les infractions serait au surplus un travail immense. En tant que citoyens, nous avons cru longtemps que l’Etat était le garant du droit républicain. Nous croyions qu’en tant qu’association, il nous suffisait de bien faire
notre travail pour parvenir à faire respecter la loi. Mais en réalité, l’Etat a le plus grand mal à ne serait-ce qu’entreprendre les actions expressément prévues par le Code de l’environnement. Bien au contraire, nous n’obtenons JAMAIS satisfaction. Cela remonte loin…
Le juge - Oui, mais pas trop loin. Actuellement, lorsque vous constatez une infraction, comment procédez-vous?
M. Delahousse - Il existe plusieurs voies, mais dans tous les cas, c’est un grain de sable dans l’océan. Nous agissons contre l’Etat, puisque, hélas, c’est le seul moyen effectif. Le code de l’environnement prévoit qu’en cas d’infraction le Maire OU le Préfet, sont tenus de mettre en demeure les contrevenants de régulariser la situation dans un délai de quinze jours. Eh bien, cela ne fonctionne pas. J’ai cru que le droit était un élément essentiel de protection du citoyen, qu’il constituait un élément fondamental du contrat social. Je m’aperçois que ce n’est pas le cas.
Le juge - Vous êtes pessimiste…
M. Delahousse - Je ne suis pas pessimiste. Ces quatre dernières années, nous avons fait condamner 18 fois l’Etat. Regrettable victoire. Encore faut-il mentionner que les démontages n’interviennent, malgré tous nos efforts, qu’après le dépôt de requêtes. D’ailleurs, à plusieurs reprises nous avons obtenu des dommages et intérêts. Nous nous sommes aussi tournés vers les plus hautes autorités de l’Etat: ministres de l’environnement – sans résultat quelle que soit leur couleur politique; ministres de l’Intérieur pour leur demander d’enjoindre les Préfets à…
Le juge - Théoriquement la loi suffit, Monsieur.
M. Delahousse - Oui… théoriquement…
Le juge - Mais vous n’agissez que devant les tribunaux administratifs?
M. Delahousse - Nullement. Nous faisons flèche de tout bois, à tel point que le rythme est difficile à suivre. Nous agissons contre les afficheurs devant les tribunaux civils. Mais il est très difficile de les saisir, car nous avons devant nous des gens extrêmement puissants sur le plan financier, dont certains sont fort retors. C’est un travail colossal.
Au pénal, nous souhaiterions vivement que la Justice délivre un signal fort à l’égard des délinquants de l’environnement. Nombre de panneaux sont installés dans des parcs naturels régionaux en toute illégalité…
Le juge - Ce n’est pas le sujet aujourd’hui.
M. Delahousse - Ce n’est pas le sujet? A raison de 88 euros d’astreinte journalière due par les afficheurs en cas de non-mise en conformité, nous avons calculé que les afficheurs ont une dette potentielle de 1500 milliards d’Euros, tant les panneaux illégaux sont nombreux. Il nous semble absolument essentiel que les vrais délinquants, ceux qui violent la loi de façon continue, 365 jours par an pendant des années, soient punis.
Le juge - Si j’ai bien compris vous avez pris l’option de saisir la Justice de manière systématique désormais?
M. Delahousse - Tout à fait.
Le juge - C’est très bien. Comment voyez-vous ces opérations de barbouillage publicitaire?
M. Delahousse - Pour notre part, nous défendons le droit. Nous restons dans le strict respect des réglementations en vigueur, puisque précisément nous en demandons l’application.
Le juge - Bien sûr.
M. Delahousse - Pour nous ce genre d’action – qui nous a parfois laissé un peu mal à l’aise – est un appel de citoyens qui s’aperçoivent que leur action est une goutte d’eau dans un océan d’obstacles et qui, après avoir tout essayé pour, concluent finalement qu’il n’y a pas d’autres moyens.
Le juge - D’une certaine manière, vous avez été débordé…
M. Delahousse - Absolument pas. Les Déboulonneurs ne sont pas issus de l’association.
Le juge - Peut-on être Déboulonneur et membre de Paysage de France?
M. Delahousse - C’est une question que nous allons débattre. Certains membres de l’association sont aussi Déboulonneurs et nous débattons au sein de notre bureau s’il faut les accueillir ou maintenir une ferme ligne légaliste.
Le juge - Il serait intéressant d’en débattre en assemblée générale plutôt qu’au sein d’un bureau.
M. Delahousse - Absolument. Nous tenons à un fonctionnement exemplaire.
Le juge - Mais vous n’avez pas répondu à ma question, à savoir si votre association accueillerait un Déboulonneur?
M. Delahousse - Je pense personnellement que c’est un moyen pour eux d’exprimer leur déception quant à l’action dans le cadre de la légalité, par rapport au jeu normal de la démocratie, tellement difficile, comme je l’ai souligné.
Le juge - Considérez vous, oui ou non, qu’il s’agit d’actes illégaux?
M. Delahousse - Ce sont de petites entorses sur des panneaux appartenant à des délinquants notoires – j’ai cru entendre qu’il y avait même un panneau Decaux. Ils violent la loi à grande échelle. Ils empochent de l’argent en conduisant des activités illégales. Ainsi ce panneau de 340 m2 qui cumulait cinq infractions…
Le juge - Considérez-vous normal de commettre un acte illégal à l’encontre
de la société Decaux?
M. Delahousse - Je ne dis pas que c’est normal, je dis que c’est compréhensible, c’est tout à fait, différent. Il y a deux poids deux mesures, entre une délinquance massive, tellement gigantesque que s’en est presque risible. Ainsi ce dernier dossier que nous avons fait parvenir à la justice: les infractions se comptent par centaines de panneaux de 12 m2 installés exclusivement par les trois grands…
Le juge - Certes, mais considérez-vous qu’inscrire des slogans sur un panneau, même appartenant à un délinquant, est légal ou illégal?
M. Delahousse - Il y a des textes qui définissent clairement ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Mais il est évident que le juge a une faculté d’appréciation…
Le juge - C’est un raisonnement par l’absurde. Est illégal ce qu’un texte déclare illégal. Je vous remercie de la précision.
M. Delahousse - Vous savez mieux que moi qu’une loi peut évoluer. Et c’est notre vif souhait que la loi évolue dans le sens d’un respect plus grand de l’environnement, d’un respect plus grand des citoyens. La législation peut évoluer, parfois même assez vite. Que la loi prévoit qu’on ne n’inscrive rien sur le bien d’autrui, cela paraît souhaitable et il ne conviendrait pas de le changer cela. Mais…
Le juge - Je vous remercie. Vous avez bien répondu à ma question.
M. Delahousse - Mais notre association souhaiterait qu’un signal pénal fort soit adressé aux vrais délinquants, qu’ils soient effectivement poursuivis afin que…
Le juge - Je vous signale que JE fais partie de la chambre spécialisée du tribunal en matière de consommation et d’environnement. En quatre ans de pratique, je ne vous ai encore jamais vu…
M. Delahousse - Nous hiérarchisons nos interventions. Nous intervenons en particulier dans les parcs régionaux, qui sont rares à Lyon. Hélas, malgré les requêtes diligentées, nous n’avons jamais assisté à des poursuites à l’encontre des représentants de Decaux, de Clear Channel ou de Viacom/CBS.
Le juge - Il serait intéressant que vous soyez à l’initiative de tout cela.
M. Delahousse - Certes. Mais force est de constater que nous avons déposé un grand nombre de plaintes sans résultat.
Le juge - Vous avez la possibilité de saisir le Tribunal directement.
M. Delahousse - Bien sûr, mais c’est beaucoup plus long. Nous connaissons bien les procédures de citation directe, de constitution de partie civile. C’est très lourd pour une association.
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Le juge - Je vous remercie. Monsieur le Procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions.
Le procureur - Il existe des milliers d’associations. Il est bon qu’il y ait des citoyens engagés dans la cité. Mais que se passerait-t-il si chacune de ces associations estimait nécessaire pour défendre une cause qui lui paraît légitime de commettre des dégradations?
J’ai été assez impressionné par certaines déclarations. On y confond la fin et les moyens. On y voit d’un côté les purs, de l’autre les impurs. Mais pour le rester, les purs ne doivent pas dévoyer leur lutte dans des dégradations. Mais au contraire militer proprement. Militer de façon morale, de manière citoyenne. Dans le respect des lois. Dans le respect de la laïcité. Ce sont là les formes de lutte efficaces.
D’autres formes de militantisme constituent des dérives. D’autres ont un parfum de totalitarisme. Il y a quelque chose de simpliste et de réducteur dans le mode d’action choisi. Ce côté commando, ce recours à des slogans qui rappellent ce contre quoi ils sont sensés lutter.
En somme quoi? On recourt à des slogans pseudo-publicitaires pour lutter contre la publicité! On s’offre un espace publicitaire aux frais de la Nation!
Les actes ne sont pas justifiables et la philosophie manque de subtilité. La publicité est la grande méchante. Pourtant, certainement, la publicité a une utilité sociale. Elle n’est pas sauvage. Elle doit se soumettre a des règles, à des lois.
Elle doit se soumettre à des règles de santé publique, contre la cigarette, contre l’alcool. A des règles de concurrence, des règles réprimant la publicité mensongère, des règles administratives. On nous dit pour se justifier qu’il n’y aurait pas d’autres possibilités. Mais bien sûr qu’il y en a! Bien sûr qu’on a les moyens de défendre son droit!
Attention à l’excès. Attention aux dérives. La fin ne justifie pas les moyens. Il y a une trentaine d’années, certains mouvements politiques ont connu des scissions. Certains prônaient l’action légale, d’autres des moyens illicites. On a fait sauter des Mac Donald. Involontairement on a tué des gens. Et on a vu des militants la larme à l’œil, venir nous expliquer combien sincère, combien juste était leur combat pour telle région ou telle culture.
Loin de moi l’idée de procéder à un amalgame. Mais quand on sort de l’action légale, quelle est la loi à l’intérieur de cette absence de loi pour empêcher de passer de l’autre côté?
Pour ces raisons, à l’encontre des deux barbouilleurs, je sollicite une amende de 500 Euros, et la relaxe en ce qui concerne Guillaume.
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Le juge - Merci M. Le Procureur. Maître Roux, qu’avez vous à nous dire?
Maître Roux - D’abord un point technique. La société JC Decaux estime son préjudice à quelque 200 Euros en adressant une simple facture. Vous savez tout comme moi, Monsieur le Président, que les règles de constitution de partie civile excluent qu’on procède soi-même à l’évaluation du préjudice qu’on a subi. Vous écarterez donc purement et simplement les prétentions de la société Decaux.
Mais au-delà ?
Au-delà, je voudrais dire aux enfants qui sont là, dans cette salle, je voudrais leur dire qu’il y a des cas où la loi elle-même prévoit la légitimité de la désobéissance civile. Oui, la loi le prévoit. C’est l’article L-122-4 du code Pénal. Depuis une certaine époque sombre de notre histoire, on enseigne qu’il y a un devoir de désobéir lorsque cela est nécessaire.
Puis-je vous rappeler, Monsieur le Président, alors que le 18 juin approche, que le général De Gaulle a été condamné à mort par les tribunaux français! De Gaulle condamné à mort parce qu’il a désobéi! Condamné à mort pour désertion par la France qu’il a sauvée! Condamné à mort au nom de la loi française!
La désobéissance est même prévue dans une instruction du Bulletin officiel des Armées qui précise que le subordonné doit refuser d’exécuter un ordre s’il prescrit un acte manifestement illégal. Cela a même été rappelé, souvenez-vous, par le Cour d’appel de Paris, dans les affaires des écoutes de l’Elysée, à un général: un ordre délivré par le président de la République ne doit pas être exécuté s’il n’est pas loyal à la Constitution.
Même un journal aussi sérieux que le Figaro titrait récemment: "Lancement d’une campagne de désobéissance civile". Il est vrai qu’il s’agit de l’Iran. Ouf!
En France, tout va bien. Il y a des associations. Elles se défendent. Avec beaucoup de difficultés. Elles ont quinze ans d’existence, mais certainement pas quinze salariés… En face se sont des milliards qui sont dépensés en publicité. En France, tout va mieux.
Arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt! Vous ne pouvez pas poursuivre. Vous n’en avez pas les moyens. Vous ne pouvez pas condamner. Alors les associations font ce qu’elles peuvent. Alors la crise mondiale de l’obésité s’étend. Alors les professionnels de la santé sont désespérés. Monsieur le professeur Got était venu ici, dans cette même salle, il y a quelques semaines, clamer ces inquiétudes face à la crise mondiale de l’obésité. La publicité est le bras armé de cette toute puissance financière et économique qui veut faire manger des saloperies à nos enfants.
On nous dit: terroristes! Ce que vous faites est très grave! Qui vole un œuf vole un bœuf!
Vous avez tous les éléments pour condamner les petits barbouilleurs, mais pas les moyens de poursuivre les délinquants publicitaires à grande échelle. Problème existentiel. « Le juge, disait en substance un éminent professeur de droit que nous avons tous étudié, s’il a l’intime conviction que la loi est injuste peut proposer des réformes, des améliorations. Mais c’est dans le domaine qui lui est propre, celui de l’interprétation, que l’ardeur combative du magistrat peut légitimement s’exercer ».
On ne peut accepter de baisser les bras et dire: il n’y a rien à faire. C’est faire bien peu de cas de l’autorité judiciaire! La situation est grave, la situation est urgente. Les prévenus ont posé un acte symbolique, non violent, à visage découvert. C’est un acte d’interpellation lancé aux maires, aux conseillers généraux, aux députés, au président de la République. Il ne font RIEN. Pourquoi ne font-ils rien? Car ils sont trop liés au monde des puissances financières.
Pourquoi aller devant le tribunal? Parce que les hommes politiques n’ont plus les moyens. Le problème est là! La Justice comme recours ! Oui, vous, en tant que juge, vous êtes le seul totalement indépendant, à l’abri des lobbys financiers. Vous avez la loi. La loi de ce pays qui a inventé la notion d’état de nécessité. Une notion inventée par les juges eux-mêmes. Dans cette France de l’après-guerre, si démunie, alors que l’Abbé Pierre lançait son appel, les juges ont refusé de condamner des miséreux sans toit, contraints de squatter la propriété d’autrui. Ils les ont relaxés.
Vous ne pouvez pas dire que vous n’avez aucun pouvoir. Oui, l’action des Déboulonneurs est illégale, mais elle est légitime. Mais elle s’inscrit dans la notion de nécessité. Qui a fait évoluer le droit à l’objection de conscience? Les juges! Quand ils se sont mis à refuser de condamner!
Vous avez la capacité à faire évoluer le droit. Que dit l’article 122-7? « N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».
Je voudrais vous entendre dire: « Nous n’avons pas les moyens de poursuivre les Déboulonneurs ». Ecoutons les publicités que les publicitaires se font à eux-mêmes: « Celui qui tient la rue tient l’opinion » ou encore « sur-représentation des cibles ». Nous sommes des cibles. Nos enfants à qui ont veut faire manger des saletés sont des cibles! Ah bien sûr, on peut se contenter de dire: dormons tranquilles, il y a Paysages de France!
Voyons encore ce qu’a dit le Tribunal dans l’affaire des caricatures de Mahomet: « Nul n’est tenu d’acheter Charlie Hebdo à la différences des affiches qui s’imposent à l’attention publique! ». « A la différences des affiches qui s’imposent à l’attention publique! ».
La différence est là! Il faut acheter Charlie Hebdo. Mais les affiches, elles, s’approprient l’espace public. Vous parlez de propriété d’autrui, Monsieur le Procureur. L’annonceur paie pour un panneau. Mais il ne paie pas pour l’espace public. Et cet espace ne lui appartient pas. Rappelons aussi la trop fameuse remarque de l’ex-PDG de TFI, M. Patrick Le Lay, sur le temps de cerveau disponible qu’il vend à Coca Cola. Depuis quand TF1 est-elle propriétaire des cerveaux? Est-ce cela la société que vous défendez M. Le Procureur?
Les Déboulonneurs ont commis un acte symbolique, nécessaire, pour défendre autrui. Ce sont ces gens dont parlait Hannah Arendt, des gens qui s’engagent, qui produisent de la loi, de manière délibérée, en conscience, collectivement. Voilà les acquis de la désobéissance civile. Voilà ce qui a construit le droit, et au tout premier chef, le droit du travail. N’est-ce pas dans les luttes que s’est forgé notre droit du travail?
Vous mêmes, magistrats, votre profession, avez eu il y a peu à subir les propos peu amènes d’un certain ministre de l’Intérieur. Vous êtes sortis en robe sur les marches des palais. Oui, il arrive que la rébellion soit légitime!
Les Déboulonneurs sont des gens qui habitent leur parole et croient comme Gandhi que la fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence. Ils ont pris une décision riche de sens; on va venir devant un tribunal essayer de se faire comprendre.
Les Déboulonneurs, il y a cinq semaines, ont été jugés dans ce même tribunal pour de simples contraventions. Ils ont été dispensés de peine.
Aujourd’hui ils sont poursuivis pour un délit. Il y a contradiction. Je vous demande de requalifier les faits en simples contraventions.
Qu’a demandé le tribunal de Montpellier pour des affaires similaires? Deux cents euros d’amende. A Paris, c’est un Euro qu’a demandé la Cour. Le tribunal de Lyon les a dispensés de peine tout récemment. Je vous demande de les relaxer. La relaxe, la preuve de l’ardeur combative du magistrat.
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Le juge - Je vous remercie Maître.
Madame et Messieurs les prévenus, dans l’hypothèse où vous seriez condamnés, la loi dispose que deux types de peines alternatives peuvent être proposées: soit des travaux d’intérêt général, soit des stages de citoyenneté. Je me dois de recueillir votre accord. Qu’en pensez-vous?
Guillaume - J’accepterais un travail d’intérêt général uniquement s’il s’agit de démantèlement de panneaux publicitaires.
Le juge – Ce n’est pas à la carte. Je ne peux en décider. C’est la prérogative du juge d’application des peines.
Guillaume - Dans ce cas je refuse.
Le juge - Et vous Madame?
Marion - Je refuse l’un et l’autre.
Le juge - Quant à vous?
Nicolas - Pareillement, je refuse l’un et l’autre.
Bien. Le verdict sera rendu sous quinze jours, c’est à dire (compulsant
son agenda), le lundi 21 juin.
Murmures dans la salle. « Le lundi en quinze, c’est le 18, pas le 21. »
Le juge - Vous n’allez quand même pas m’apprendre à compter. J’ai dit verdict le lundi 21.
Re-murmures
Le juge (recompulsant son agenda) - J’ai donc dit que le verdict serait rendu le lundi 18, même heure!
15h45, la salle se vide lentement.
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