Kispasse

Tuesday, March 07, 2006

Le CPE, aspirateur d’avenir

Aujourd’hui, grosses manifs contre le Contrat Premières Emmerdes. Malheureusement, je ne peux y être car je vais passer quelques jours en Bretagne. Je suis dans le train-train quand la France est dans la rue. Pour me rattraper, je l’écris haut et fort sur mon blog : AUX CHIOTTES VILLEPIN ! Pour ce qui est du CPE, le plus simple pour donner mon point de vue est de vous livrer ce beau courrier de lectrice (Elodie Nicou, une Nantaise) trouvé dans le Libé du jour.

Regardez. Tendez un peu l’oreille. Ecoutez notre petite voix étouffée par le piaillement d’un poulet en perdition et le bourdonnement d’un moustique serial-killer. Nous sommes là, oui là, juste derrière eux. Bien sûr, nous ne sommes plus classés number one dans le top 50 des sujets du JT mais nous ne sommes pas résignés pour autant. Regardez-nous. On ne vous dit rien ? Cheveux savamment décoiffés, sac pendouillant sur notre épaule insolemment rejetée en arrière, yeux un brin moqueurs, sourire faussement désabusé, acné juvénile à peine effacée. Ça y est ? Vous nous remettez ? Eh oui, nous sommes les é-tu-diants ! Nous avons ouï que l’un de vos charmants confrères nous a qualifiés de bourgeois et nous a lancé le défi de mobiliser les pauvres jeunes des banlieues. Ceux que seuls le CPE concerne selon lui. Ceux qui selon le gouvernement ont l’air de se taire et d’accepter alors qu’il nous semble qu’ils ont vaguement fait part de leur ras-le-bol général il y a quelques mois. Peut-être le gouvernement est-il sourd ? Nous proposons une collecte pour un achat massif de sonotones. Mesdames et Messieurs, soyez généreux ! Bref. Revenons à notre mouton embourgeoisé. Voici son histoire. Le bourgeois étudie à l’université. Les lieux sont confortables. Les livres dans lesquels il se plonge à l’occasion le protègent du monde extérieur : celui où l’ouvrier sue sang et eau pour un Smic de misère. Mais foncièrement, il se fout des lois qui passent ou non. Car ne l’oublions pas, c’est un bourgeois et tous les bourgeois des facs feront de la recherche plus tard et ces gens-là, paraît-il, dorment bien à l’abri dans une chaire d’université, loin du monde qui tourne mal.

Seulement voilà, ceci n’est qu’une histoire. Et comme toutes les belles histoires, elle est fausse. Car le bourgeois dont nous parlons étudie bien dans une université confortable, sauf que pour y avoir droit, Môssieur le bourgeois travaille à mi-temps chez un roi du fast-food ou un magnat de la vente. Il enchaîne heures de cours et de boulot pour pouvoir se payer un studio avec WC dans la cuisine avec ses 500 euros mensuels. Il roule avec une voiture qui a eu 20 ans vingt ans avant lui, mange des pâtes à tous les repas et sort quand ses moyens le permettent, c’est-à-dire au terme de six mois de serrage de ceinture.
S’il fait tout ça le bourgeois, c’est qu’il espère ne plus avoir à le faire plus tard car on lui a toujours dit qu’en étudiant on va loin. Seulement aujourd’hui cette belle croyance est en déroute. Il sait bien qu’aujourd’hui la plage a cédé sa place aux pavés. Mais malgré tout, il ne veut pas laisser le bitume gagner du terrain encore et encore. Il veut défendre à n’importe quel prix les derniers grammes de sable fin qu’on lui avait promis. Et le CPE est un aspirateur à sable fin, un empêcheur d’illusions, la prohibition des rêves. Deux ans, 730 jours, 17520 heures, 1051200 minutes. Voici quantitativement la dose d’attente et de pression auxquelles aura droit notre bourgeois une fois qu’il aura quitté le giron de la mère université car comme la majorité des bourgois, il n’y fera pas carrière et cherchera une place dans une entreprise.
Deux longues années en suspens. Comment acheter une voiture ? Voyager ? Louer un appartement ? Comment faire toutes ces choses qui font rêver n’importe quel jeune adulte quand une épée de Damoclès plane aussi lourdement au-dessus de nos têtes ? Et ne croyez pas que cette galère s’arrête à 26 ans, car là, le père du CPE, le CNE, prend le relais !
Bientôt, la France sera un pays de main d’œuvre docile et bon marché. Bientôt nous deviendrons le nouvel eldorado des multinationales qui veulent produire à moindre coût. Bientôt le respect des droits de l’homme n’aura plus de sens pour un peuple anesthésié.

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