Les hommes du président
Une fois n'est pas coutume, je cède ma plume à Damien, jeune journaliste prometteur à la locale de Vannes du Télégramme, major de ma promo de l'ESJ, Guingampais d'origine, et surtout futur témoin à mon mariage (j'ai déjà sélectionné les 4 heureux élus avant même d'avoir trouvé l'heureuse élue). Il a écrit un scénario de science-fiction dans lequel j'ai pris le pouvoir.
Le président de la République posa ses pieds sur la table, un grand sourire sur les lèvres, et s'éclaircit la voix. "Je déclare ouvert le conseil des ministres". Son regard balaya l'assemblée qu'il venait de nommer. José Bové, ministre de l'agriculture, était assis juste à côté d'un écran d'ordinateur. Tony Parker suivrait le conseil en vidéoconférence depuis les Etats-Unis, où sa carrière professionnelle le retenait. Qu'un ministre de la jeunesse et des sports poursuive une carrière en parallèle était une franche entorse au protocole, mais le président Kispasse n'en avait cure. Après tout, les règles existaient pour qu'on les contourne.
"Bien, nous allons maintenant examiner le dossier des transports. Combien de temps faudra-t-il pour interdire tous les centre-villes aux voitures et mettre en place des systèmes de prêt de vélos ?" Samuel Duhamel, ministre des transports et de l'écologie, ouvrit un volumineux dossier. "Il faudra compter six mois, monsieur le Président. Mais permettez-moi de dire que le projet ne va pas assez loin. Je suggère qu'on interdise carrément aux Français de posséder une voiture." Le Président considéra l'idée un moment. "Ca me plaît, Samuel, mais cela ferait s'écrouler tous nos efforts sur le covoiturage... Et puis ce serait une mesure si impopulaire..."
Dix ans plus tôt, personne n'aurait deviné que ce modeste étudiant en Sciences politiques à Rennes gravirait aussi rapidement les échelons républicains de la mobilité sociale. Après des études de journalisme, il s'était fait remarquer de la sphère politique en sortant avec la fille cachée de Nicolas Sarkozy. Le scandale, qu'il avait raconté en détail sur son blog, avait instantanément fait de lui une célébrité, et provoqué la chute de l'ancien homme fort de la droite. Un coup d'éclat qui n'était pas sans rappeler ceux de Daniel Cohn-Bendit, l'un de ses modèles en politique. Quelques semaines plus tard, il avait à nouveau défrayé la chronique en tentant de se faire prendre en photo entre les jumelles Bush, en visite à Paris. Son arrestation par les services spéciaux américains sur le sol français avait provoqué une crise diplomatique, avant que le Quai d'Orsay n'obtienne sa libération.
Un comité de soutien s'était créé spontanément autour de lui pour les présidentielles de 2013, rassemblant des personnalités aussi éclectiques que Didier Wampas (désormais ministre de la culture) ou Vincent G, rédacteur en chef des Inrockuptibles. Ecumant les mairies du Morbihan, il avait accumulé les signatures nécessaires, puis il avait passé des accords de désistement réciproque avec les principaux partis de gauche. Sa parfaite maîtrise des sondages lui avait permis d'entrevoir sa courte avance sur ses rivaux de gauche à l'issue du premier tour, et c'est donc avec le soutien du PS, du PCF et des Verts que le premier Président de la République divers gauche avait été élu. Mais les analystes politiques s'accordaient sur un point : Kispasse avait surtout bénéficié d'un vote de barrage face à Marine Le Pen, son adversaire du deuxième tour.
Décapsulant distraitement un Breizh Cola, le président se tourna vers son ministre de l'intérieur. Partant du principe que rien ne vaut l'exemple, il avait nommé à ce poste Kevin, un jeune homme qui l'avait cambriolé quelques années auparavant, estimant que les ors de la République lui feraient prendre conscience de ses erreurs. Après tout, qui mieux qu'un ancien délinquant pouvait s'occuper des délinquants ? "Pour faire taire les grincheux accros à leur voiture, je compte annoncer une amnistie générale des contraventions de stationnement. Nous allons également présenter un projet de loi abolissant les infractions au code de la route pour les cyclistes. J'ai toujours trouvé anormal qu'un cycliste puisse être verbalisé pour avoir grillé un feu rouge, alors que toutes les études montrent que les deux-roues sont le mode de transport le plus sûr après le train."
Kevin déglutit. "En réalité, monsieur le Président, un pourcentage non négligeables des victimes d'accidents mortels sont des cyclistes.
- Vraiment ? Fascinant. En attendant, faites le nécessaire pour qu'ils échappent au code de la route. Et faites passer des consignes de fermeté contre les automobilistes qui les renversent."
Le Président Kispasse s'enfonça dans son fauteuil. "Bien, je pense que les autres dossiers peuvent attendre. Ah si, j'oubliais : je vais décréter le jour des Vieilles charrues fête nationale. Le communiqué est prêt, veillez à ce que toutes les mairies de France hissent haut les drapeaux européens et bretons ce jour-là."
Six mois après la prise de fonction du nouveau président, l'humeur n'était plus aussi joviale. "La guenneugueule de bois", titrait le quotidien Libération, pourtant l'un des premiers soutiens du président. "Malgré un programme ambitieux en matière de politique sociale, d'écologie et de culture, le bilan du président ne répond clairement pas aux attentes des Français", analysait l'édito du Monde. Sur TF1, les pubs pour coca-cola alternaient avec des reportages sur le chômage des jeunes et l'insécurité des petites vieilles. Le président éteignit la télévision. Les chaînes télé avaient une dent contre lui depuis qu'il avait instauré la semaine sans publicité et traité Patrick Le Lay de "phacochère bouffi à la solde de pepsi" lors d'un débat public. Il s'en moquait.
Kispasse attacha sa ceinture alors que le Falcon présidentiel décollait vers l'ouest. Il était attendu à New York pour l'assemblée générale des nations unies. Bien entendu, il avait aussitôt appelé Tony Parker pour qu'ils aillent boire quelques bières. Un deuxième falcon était parti le chercher la veille à San Antonio. La session, consacrée à la situation au proche-orient, promettait d'être longue, et il aurait bien besoin de se détendre avant.
24 heures plus tard, il somnolait placidement dans l'hémicycle. Il avait discrètement débranché la prise de son casque, et à la place de la traduction des discours il entendait désormais le dernier album de Muse, dont la grandiloquence lui sembla fort appropriée aux circonstances. En bas, le président israélien, issu du parti Droit et vertu, semblait sur le point d'en venir aux mains avec le chef de la délégation diplomatique iranienne, secrétaire général du parti de la loi islamique. Il était temps de détendre l'atmosphère. Le président de la République française se leva, alluma son micro, prit une profonde inspiration, et déclara d'une voix douce mais ferme : "Bon, les gars, c'est bien sympa tout ça, mais en attendant on se fait un peu chier. Toutes les jolies New-Yorkaises sont en train de nous passer sous le nez, et j'ai des flambys et du champagne au frais dans mon Falcon de fonction. On va faire une teuf à tout péter."
Deux jours plus tard, une ogive nucléaire explosa au-dessus de Jérusalem.
Le président de la République posa ses pieds sur la table, un grand sourire sur les lèvres, et s'éclaircit la voix. "Je déclare ouvert le conseil des ministres". Son regard balaya l'assemblée qu'il venait de nommer. José Bové, ministre de l'agriculture, était assis juste à côté d'un écran d'ordinateur. Tony Parker suivrait le conseil en vidéoconférence depuis les Etats-Unis, où sa carrière professionnelle le retenait. Qu'un ministre de la jeunesse et des sports poursuive une carrière en parallèle était une franche entorse au protocole, mais le président Kispasse n'en avait cure. Après tout, les règles existaient pour qu'on les contourne.
"Bien, nous allons maintenant examiner le dossier des transports. Combien de temps faudra-t-il pour interdire tous les centre-villes aux voitures et mettre en place des systèmes de prêt de vélos ?" Samuel Duhamel, ministre des transports et de l'écologie, ouvrit un volumineux dossier. "Il faudra compter six mois, monsieur le Président. Mais permettez-moi de dire que le projet ne va pas assez loin. Je suggère qu'on interdise carrément aux Français de posséder une voiture." Le Président considéra l'idée un moment. "Ca me plaît, Samuel, mais cela ferait s'écrouler tous nos efforts sur le covoiturage... Et puis ce serait une mesure si impopulaire..."
Dix ans plus tôt, personne n'aurait deviné que ce modeste étudiant en Sciences politiques à Rennes gravirait aussi rapidement les échelons républicains de la mobilité sociale. Après des études de journalisme, il s'était fait remarquer de la sphère politique en sortant avec la fille cachée de Nicolas Sarkozy. Le scandale, qu'il avait raconté en détail sur son blog, avait instantanément fait de lui une célébrité, et provoqué la chute de l'ancien homme fort de la droite. Un coup d'éclat qui n'était pas sans rappeler ceux de Daniel Cohn-Bendit, l'un de ses modèles en politique. Quelques semaines plus tard, il avait à nouveau défrayé la chronique en tentant de se faire prendre en photo entre les jumelles Bush, en visite à Paris. Son arrestation par les services spéciaux américains sur le sol français avait provoqué une crise diplomatique, avant que le Quai d'Orsay n'obtienne sa libération.
Un comité de soutien s'était créé spontanément autour de lui pour les présidentielles de 2013, rassemblant des personnalités aussi éclectiques que Didier Wampas (désormais ministre de la culture) ou Vincent G, rédacteur en chef des Inrockuptibles. Ecumant les mairies du Morbihan, il avait accumulé les signatures nécessaires, puis il avait passé des accords de désistement réciproque avec les principaux partis de gauche. Sa parfaite maîtrise des sondages lui avait permis d'entrevoir sa courte avance sur ses rivaux de gauche à l'issue du premier tour, et c'est donc avec le soutien du PS, du PCF et des Verts que le premier Président de la République divers gauche avait été élu. Mais les analystes politiques s'accordaient sur un point : Kispasse avait surtout bénéficié d'un vote de barrage face à Marine Le Pen, son adversaire du deuxième tour.
Décapsulant distraitement un Breizh Cola, le président se tourna vers son ministre de l'intérieur. Partant du principe que rien ne vaut l'exemple, il avait nommé à ce poste Kevin, un jeune homme qui l'avait cambriolé quelques années auparavant, estimant que les ors de la République lui feraient prendre conscience de ses erreurs. Après tout, qui mieux qu'un ancien délinquant pouvait s'occuper des délinquants ? "Pour faire taire les grincheux accros à leur voiture, je compte annoncer une amnistie générale des contraventions de stationnement. Nous allons également présenter un projet de loi abolissant les infractions au code de la route pour les cyclistes. J'ai toujours trouvé anormal qu'un cycliste puisse être verbalisé pour avoir grillé un feu rouge, alors que toutes les études montrent que les deux-roues sont le mode de transport le plus sûr après le train."
Kevin déglutit. "En réalité, monsieur le Président, un pourcentage non négligeables des victimes d'accidents mortels sont des cyclistes.
- Vraiment ? Fascinant. En attendant, faites le nécessaire pour qu'ils échappent au code de la route. Et faites passer des consignes de fermeté contre les automobilistes qui les renversent."
Le Président Kispasse s'enfonça dans son fauteuil. "Bien, je pense que les autres dossiers peuvent attendre. Ah si, j'oubliais : je vais décréter le jour des Vieilles charrues fête nationale. Le communiqué est prêt, veillez à ce que toutes les mairies de France hissent haut les drapeaux européens et bretons ce jour-là."
Six mois après la prise de fonction du nouveau président, l'humeur n'était plus aussi joviale. "La guenneugueule de bois", titrait le quotidien Libération, pourtant l'un des premiers soutiens du président. "Malgré un programme ambitieux en matière de politique sociale, d'écologie et de culture, le bilan du président ne répond clairement pas aux attentes des Français", analysait l'édito du Monde. Sur TF1, les pubs pour coca-cola alternaient avec des reportages sur le chômage des jeunes et l'insécurité des petites vieilles. Le président éteignit la télévision. Les chaînes télé avaient une dent contre lui depuis qu'il avait instauré la semaine sans publicité et traité Patrick Le Lay de "phacochère bouffi à la solde de pepsi" lors d'un débat public. Il s'en moquait.
Kispasse attacha sa ceinture alors que le Falcon présidentiel décollait vers l'ouest. Il était attendu à New York pour l'assemblée générale des nations unies. Bien entendu, il avait aussitôt appelé Tony Parker pour qu'ils aillent boire quelques bières. Un deuxième falcon était parti le chercher la veille à San Antonio. La session, consacrée à la situation au proche-orient, promettait d'être longue, et il aurait bien besoin de se détendre avant.
24 heures plus tard, il somnolait placidement dans l'hémicycle. Il avait discrètement débranché la prise de son casque, et à la place de la traduction des discours il entendait désormais le dernier album de Muse, dont la grandiloquence lui sembla fort appropriée aux circonstances. En bas, le président israélien, issu du parti Droit et vertu, semblait sur le point d'en venir aux mains avec le chef de la délégation diplomatique iranienne, secrétaire général du parti de la loi islamique. Il était temps de détendre l'atmosphère. Le président de la République française se leva, alluma son micro, prit une profonde inspiration, et déclara d'une voix douce mais ferme : "Bon, les gars, c'est bien sympa tout ça, mais en attendant on se fait un peu chier. Toutes les jolies New-Yorkaises sont en train de nous passer sous le nez, et j'ai des flambys et du champagne au frais dans mon Falcon de fonction. On va faire une teuf à tout péter."
Deux jours plus tard, une ogive nucléaire explosa au-dessus de Jérusalem.
3 Comments:
At 1:43 AM, Pierre said…
C'est excellent, chapeau!
At 1:54 AM, Anonymous said…
D’où sort cette photo de merde ?
At 5:42 AM, Anonymous said…
"Cana, bis: Israël enfume le monde"
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